Les fabricants de tableaux blancs interactifs sont morts (et c’est mérité !)

Un échec industriel

DinosaureLes principales marques de tableaux interactifs qui existaient quand j’ai lancé Speechi en 2004 ont soit disparu, soit été rachetées à cause de la faiblesse de leurs résultats (Interwrite, Promethean), ou recherchent un acquéreur pour des raisons similaires (Smart).

Même eBeam, marque pour laquelle j’ai évidemment la plus grande tendresse et aussi une grande admiration, n’a pas réussi au niveau mondial comme cela a pu être le cas en France, où notre part de marché est de l’ordre de 30 % (pas mal quand même pour un petit TBI qui s’est fait traiter de gadget la première fois que nous l’avons montré au “spécialiste” en charge du domaine à l’Education Nationale).

[Je me souviens encore des remarques que nous avons dû subir en 2004:
– “C’est trop léger, dans une classe, il faut du lourd”. Alors que c’est exactement le contraire.
– “Ca ne marchera pas sur le long terme, ça sera volé” (Résultat des courses: moins de 2 vols par an).
– “Ca tombera en panne” (Ca tombe tellement peu en panne que nous avons fini par le garantir 7 ans…).
– “Ca ne peut concerner que quelques profs nomades” (Résultat: avec plus de 60 000 unités vendues en France, ce TBI est sans doute le plus utilisé).]

Quelles sont les raisons de cet échec ?

Manque de vision technologique

Les tableaux interactifs n’ont jamais révolutionné l’enseignement, comme les slogans publicitaires ronflants tentaient de le faire croire. Ils sont restés de simples moniteurs branchés sur des PC. Le virage des tablettes n’a jamais été pris par les constructeurs de TBI. J’écrivais en 2012:

“Il est impossible pour un enseignant d’arriver en cours avec son IPAD, de le connecter (sans fil) à son tableau interactif et à son vidéoprojecteur et de faire cours comme il peut le faire avec son PC. Une telle application paraît pourtant “évidente”.”

et ceci reste, de façon surprenante, toujours vrai aujourd’hui. L’industrie a été tout bonnement fainéante.

Un modèle économique court-terme

Les principaux leaders du tableau interactif étaient financés par du capital risque ou par la bourse, parfois par les deux (Smart, Promethean). Ce modèle aide certes le développement des entreprises mais il est aussi très “court terme”, avec une trop grande pression sur les résultats immédiats de l’entreprise et peu stable quand le marché se retourne (ce qui a été le cas en 2011 / 2012).

Au moment où l’entreprise a changé de main, Promethean valait environ 100 millions de dollars, soit 7 à 10 fois moins qu’à son apogée, quelques années plus tôt. Smart vaut sans doute aujourd’hui environ 60 millions de dollars, soit environ 15  fois moins qu’en 2010. Quand une entreprise perd autant de valeur, il est très dur de conserver son savoir-faire (les meilleurs éléments sont partis). Il est parfois très dur de la faire tout simplement survivre.

L’industrie du TBI est peut-être une industrie morte d’avoir eu trop d’argent, trop tôt.

Une vision de l’éducation et de l’Homme indigne des enjeux

L’objectif initial était (et reste !) d’utiliser les technologies numériques pour améliorer le niveau des élèves, mais les études montrent aujourd’hui, de façon constante, que les tableaux interactifs n’améliorent pas le niveau des élèves. Les tablettes numériques, utilisées par les élèves comme des outils de jeu, ne font probablement que baisser leur niveau – ce qui n’empêche pas les gouvernements d’investir, un peu partout, dans de coûteux programmes d’équipement des élèves.

Tout ceci n’empêche nullement l’industrie du numérique de continuer à s’auto-congratuler, de se présenter comme indispensable et de multiplier les promesses éducatives – promesses non tenues depuis dix ans.

Le fait d’échouer n’est en soi pas honteux. La recherche sur le cancer existe depuis 100 ans et le cancer n’est toujours pas vaincu. Ce qui est plus grave (et même parfois honteux), c’est que l’industrie numérique ne s’est pas donné, d’une façon générale, les moyens de ses ambitions.

  • Elle a utilisé des moyens de lobbying agressifs, allant peut-être jusqu’à la corruption (le cas des tableaux blancs interactifs au Canada). Les techniques employées (débauchage de membres de cabinets ou de fonctionnaires influents) n’ont pas été limitées au seul Canada.
  • Elle a systématique caché la faible valeur ajoutée des TBI et pire, a financé des études favorables (comme a pu le faire l’industrie du tabac). Voir “Le bilan noir du tableau interactif”.
  • Elle ne s’est jamais dotée de techniques ou d’indicateurs fiables permettant d’évaluer sa performance (ce qui, au fond, constitue l’aveu criant qu’elle n’y croit pas ou qu’elle s’en fout royalement !).

Divertissement contre savoir. Comme les tableaux interactifs ne pouvaient pas être présentés sous un angle pédagogique, on a plaidé “la fin de l’ennui”, “la modernité dans les écoles” – arguments qui ne veulent rien dire mais qui sont visiblement bien acceptés politiquement si on en juge par ceux fournis pas le gouvernement pour justifier la réforme du collège. L’industrie s’est noyée dans le ludique au détriment du savoir (et ça continue avec l’introduction des tablettes). Il me semble particulièrement significatif que Promethean ait été racheté par une société (chinoise) qui est un acteur important… du jeu en ligne !

Peu d’avantage technologique

Les principes techniques sur lesquels reposaient la technologie des TBI fixes étaient simples et les points clés complexes à protéger. Depuis 2005-2010, les usines chinoises produisent des TBI qui ont été d’abord de pâles copies, puis se sont améliorées. La plupart des TBI que vous achetez aujourd’hui, même quand il s’agit de marques européennes ou nord-américaines, sont produits en Chine. Et on assiste donc au paradoxe suivant, pour moi désolant, et que je vais vous laisser méditer avant d’aller prendre un repos bien mérité:

Alors que leur plus-value pédagogique est le plus souvent nulle ou non observable, les sommes dépensées par les états occidentaux au nom de l’école numérique (plans tablettes, écrans interactifs, vidéoprojecteurs interactifs) ont contribué au développement de l’industrie et de la R&D chinoise.

Que faudrait-il faire ?

En fait, il faudrait faire exactement le contraire.

Là encore, on n’en prend pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le chemin. Et pourtant, malgré tous ces problèmes, ces excès, ces erreurs, il n’y a pour moi aucun doute: le numérique va changer profondément l’éducation dans les années à venir et je pense que ce sera vraiment pour le meilleur.

Je suis comme le vieux chanteur d’Aznavour (veste bleue en moins): j’y crois encore !


 

(1) Rafi Holtzmann, président de Luidia, dont j’ai souvent parlé dans ce blog, me semble avoir été le plus “proche” de cette vision, sans cependant la finaliser.

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