Qu’est-ce qu’une formation ? Objets ouverts et objets fermés.

Informer n’est pas former

J’aimerais revenir sur une question centrale qui m’a été posée en commentaires par ocarbone (Olivier).

J’ai beaucoup parlé d’information et je pense que tout le monde est maintenant plus ou moins d’accord sur les rapports entre histoire de l’information et nomadisme.

Mais ce qui nous préoccupe au final, c’est l’enseignement, la formation, pas l’information.

Comme le fait remarquer Olivier:

“Rien n’assure le “consommateur” qu’il comprend l’information à laquelle il accède. L’information transmise par un support inanimé est-elle automatiquement transformée en savoir ? Posséder un livre de cours suffit-il pour se passer des professeurs ?”

Quels sont donc les liens entre information et savoir ?


Pour moi, former quelqu’un (ou un groupe) revient à lui donner de l’information et à vérifier qu’elle a été bien comprise.

Cette vérification, c’est une sorte de “retour”, de l’élève vers le professeur. Une sorte d’asservissement, un re-bouclage au sens où on l’entend en automatique.

Ce lien peut être instantané ou différé, individuel ou collectif, réel ou virtuel, certains diraient qu’il peut être imaginaire ou symbolique, mais je me suis promis de rester à peu près compréhensible.

En tous cas, c’est ce lien qui distingue la formation de l’information.

Quelques exemples de liens :

– Un professeur de CM2 pose une question, des élèves lèvent le doigt, le professeur choisit un élève qui répond (lien individuel, légèrement différé).

– le même professeur pose une question aux élèves, mais leur demande de répondre sur leur ardoise (lien collectif, un peu plus différé)

– le professeur a l’impression qu’un élève est en difficulté et répète sa phrase (lien instantané, individuel, virtuel, imaginaire – il s’agit d’une simple impression du professeur, peut-être se trompe-t-il).

– Isaac Newton veut dépasser Descartes et Galilée, étudie longuement leurs oeuvres – ce qu’on peut assimiler à un dialogue différé dans le temps. Lien symbolique, individuel, différé et virtuel (le professeur est mort depuis longtemps, la formation résulte d’un dialogue avec un auteur imaginé par le lecteur – si j’osais, je dirai “projeté” par le lecteur, mais je vous ai promis il y 10 lignes que je resterai compréhensible).

Il y a donc, dans tout apprentissage, des interactions complexes entre professeur et élèves qui favorisent ou retardent cet apprentissage (valorisation du professeur par l’élève, volonté de dépasser le professeur, sentiment que le professeur est ou n’est pas bienveillant vis-à-vis de l’élève, etc…).

Tout ceci dépasse largement le cadre d’un billet – mais il se joue probablement là quelque chose d’assez comparable à la relation patient/psychanalyste, patient/médecin, croyant/confesseur, lecteur/auteur, etc…

La nature éminemment personnelle de cette relation fait qu’il est difficile d’en tirer une synthèse: les liens élève/professeur, ce sont des millions de cas particuliers.

Meilleur est le lien, meilleure est la formation.

Mais on peut quand même dégager une loi assez générale (une loi de Klein de plus !).

En gros, plus ce lien, ce “retour” est instantané, fréquent, individualisé, fluide, meilleur sera le processus de formation.

C’est bien pour ça que la plupart des élèves ont besoin de professeurs et pas seulement de livres.

Le professeur qui “lit” l’incompréhension sur le visage de l’élève et qui, à la volée, reformule son contenu, transmettra sans doute mieux son savoir que celui qui a besoin de faire répondre les élèves sur une ardoise, qui lui-même sera meilleur que le professeur qui ne pose jamais de question, etc…

Les points que je mentionnais en premier dans mon billet initial sur le nomadisme étaient le partage et l’interactivité.

Mais “interactivité” est un terme assez flou, complètement galvaudé.

De façon plus précise, ce que je voulais dire, c’est que la pédagogie doit permettre d’établir un maximum de liens – autre façon de dire les choses: la technologie doit servir à créer de nouveaux liens – ou à en préserver un maximum, dans le cas où certains doivent absolument être rompus, ce qui est le plus souvent le cas dans un processus de formation à distance.

Le cas Speechi

Quand j’ai démarré avec Speechi, j’ai cherché à développer ou à commercialiser des outils qui créent des liens nouveaux.

C’est le cas, me semble-t-il du tableau blanc interactif. Le tableau blanc interactif, c’est un moyen simple de faire des aller-retours, d’un type nouveau, entre le tableau, l’ordinateur, le professeur, l’élève.

Le professeur qui utilise un TBI créera probablement plus de liens que le professeur qui fonctionne avec un simple vidéoprojecteur. Il ira vers son écran, l’annotera, arrêtera une vidéo suite à une question, etc…

A contrario, il y a une raison pour laquelle nous n’avons pas vraiment développé de solution autour de l’IPOD, ou du téléphone mobile… (Pourtant, c’est très en vogue).

Pub IPODPour moi, l’IPOD est un outil fermé, narcissique, qu’on se met très fort autour des oreilles, pour s’isoler (voir une anayse de la pub Apple, qui justement met en valeur l’isolement de l’auditeur)…

Bref, l’IPOD ne crée pas de liens (1). Idem pour le téléphone portable, du moins tel que les jeunes l’utilisent actuellement.

Pour la même raison, je ne me suis toujours pas décidé à rajouter des boîtiers de vote électronique à notre offre.

Pourquoi perdre du temps en classe à faire voter les élèves, alors qu’une ardoise est plus rapide, plus simple, alors que le professeur crée une foule de liens imaginaires avec eux ?

Le boîtier retarde le lien (1) et le rend moins fluide. Et si les élèves sont à distance, alors le boîtier est inutile…

Dernier exemple: la télévision casse tout les liens puisqu’elle ne permet pas de retour. Sauf cas très particulier, c’est donc avant tout un outil d’information, je n’ose dire d’abêtissement ! Pas un outil de formation (1).

Formation = Information + Liens

L’in-formation, c’est donc, au sens littéral, ce qui se trouve dans la formation. Le reste, ce ne sont “que” des liens.

C’est pour cette raison qu’en grande partie les lois que j’ai décrites sur les rapports de l’histoire de l’in-formation et du nomadisme s’appliquent quand on parle de transmission du savoir.

(1) Vous trouverez toujours des exceptions… Je parle de “l’esprit” général des outils. J’ai vus de bons programmes de langues utilisant l’IPOD… J’ai même parfois appris des choses à la télévision !

(8) commentaires pour "Qu’est-ce qu’une formation ? Objets ouverts et objets fermés."

  1. Merci pour cette réponse détaillée !

    Je comprend maintenant en quel sens Speechi évoque l’information nomade et quels sont les moyens qui permettent de la transformer en savoir : les liens.

    Je note qu’un des liens évoqués (Le professeur qui “lit” l’incompréhension sur le visage de l’élève) est très difficile à mettre en oeuvre dans un dispositif de formation à distance sans l’utilisation de vidéo synchrone. Les autres peuvent par contre être facilement transposés à distance 😉

    Merci encore pour ces précisions,
    Olivier

  2. Oui, si la formation a lieu à distance, certains liens sont cassés – le but ultime de la technologie est de les recréer ou de les simuler le mieux possible “faute de mieux”.

    Dans le cas d’une formation “sur place”, la technologie doit avoir pour objectif de créer des liens nouveaux, qui sont susceptibles d’améliorer le processus de formation. Le TBI me semble un bon exemple, dans l’esprit. Il permet de créer des liens nouveaux (L’utilité ultime de ces liens est un autre débat).

  3. Je n’avais pas vu ce commentaire avant … je réagi un peu tard … mais je réagi tout de même.

    Thierry, 2 choses me choquent :

    1) si la formation a lieu à distance, certains liens sont cassés

    2) le but de la technologie est de les recréer ou de les simuler le mieux possible “faute de mieux”

    Concernant le point 1), il ne faut pas croire que la distance casse ces liens. La distance ne détruit pas la relation entre 2 individus. Ton commentaire met en avant la distance comme un frein et une contrainte pour le pédagogue. C’est ton point de vue. Je considère pour ma part que la distance peut être un avantage : l’apprenant est plus à l’aise, plus “caché”, plus ouvert aussi … enfin tout dépend de la vision du pédagogue et de l’ambiance qu’il va mettre en oeuvre. Vous en doutez ? Ne vous êtes vous jamais surpris lors d’une conversation téléphonique à évoquer des points que vous avez du mal à évoquer en public ? D’ailleurs connaissez vous le principe des isoloirs dans les églises catholiques … il est plus simple de se confier lorsque l’on est un peu en retrait. Livrer ses appréhension, confier ses angoisses face à un nouveau produit, concept ou autre est quand même très important pour un apprennent, non ?

    Si la distance est une gène pour celui qui ne la maîtrise pas, elle peut offrir bien des avantages au sein d’une relation humaine et donc au sein d’un dispositif pédagogique. Elle mérite par contre que le pédagogue s’y confronte et adapte ses méthodes.

    Concernant le point 2), si associer un BUT à un outil me parait étrange, le pire reste à venir ! Dans la formation à distance tu parles d’utiliser la technologie “faute de mieux”. Par contre pour le “sur place” la technologie devient le moyen d’améliorer le processus de formation. Un commentaire très parti pris, n’est-ce pas ? D’un coté la techno c’est nulle … et d’un autre coté, la technologie c’est vraiment une révolution qui nous permet d’être meilleur !

  4. 1) Sans rentrer dans un contexte religieux, je sais bien qu’il y en qui font de la psychanalyse par téléphone… Mais bon… Disons que je n’y crois pas, c’est vrai – sauf cas exceptionnel.

    2) Je ne pense pas être de parti-pris. C’est clair que quand même, la référence, c’est l’enseignement avec les élèves “devant le professeur”.

    Donc, la technologie, si les élèves sont “là”, doit servir à améliorer les choses. C’est une tâche noble.

    En revanche, si les élèves sont “loin”, la distance rend les choses a priori moins favorables, les échanges plus complexes. Et la technologie doit avant tout essayer de rendre l’enseignement “à distance” aussi favorable, ou presqu’aussi favorable, que l’enseignement “sur place”. C’est une tâche noble aussi.

  5. La référence reste bien l’enseignement avec les élèves “devant le professeur”, c’est effectivement historique ! Historique aussi, les problèmes et inconvénients qui en découlent 😉

    Notre approche de l’utilisation des technologies au sein d’un dispositif de formation semble différente … mais nos nombreux échanges me confortent dans le fait que nous partageons un objectif commun : apporter à l’apprenant ce dont il a besoin pour évoluer.

    Je vois dans le elearning une nouvelle forme d’enseignement, une nouvelle façon de lier une relation avec un individu. Tu as semble-t-il beaucoup moins de considération quand à l’opportunité d’utiliser “la distance” pour son intérêt pédagogique, et en cela, je trouve nos échanges très intéressants !

  6. Bonjour,

    La discussion ci-dessus a eu lieu il y a longtemps déjà mais elle reste toujours d’actualité…et donc est toujours intéressante!
    Il me semble que vous avez tous les deux raison…mais en parlant de deux types d’élèves différents! Le lien dont parle Thierry est essentiel lorsqu’il s’agit d’élèves jeunes et non encore autonomes, mais l’est moins lorsqu’on s’adresse aux adultes autonomes et motivés, ce dont parle, me semble-t-il Olivier…

    Qu’en pensez-vous tous les deux?

    Bien cordialement,
    J.Emond

  7. Bonjour,

    Le sujet est toujours d’actualité … voire plus que jamais car le cartable numérique est aujourd’hui bien utilisé !

    Le lien dont parle Thierry est bien entendu essentiel ! Et cela que le public soit jeune ou adulte. Il peut par contre être considéré comme subsidiaire pour les auto-didacte … mais ce public est rare et n’est pas vraiment visé par les dispositifs de formation 😉

    Mais la discussion qui a fait suite à cet article évoque surtout le fait que la distance nuirait à l’établissement de ce lien. Je pense au contraire que la distance permet toujours de créer ce lien. De le créer différemment mais avec tout autant d’avantages !

    La population jeune me semble même bien adaptée à ce type d’échange. L’utilisation des téléphones portables, des sms, des chats et autres webtools dédiés à cette population les a familiarisés avec la distance et ils en profiteront peut être plus facilement que les adultes !

    Les adultes devront être plus “accompagnés” pour adhérer à ce mode de formation. Cependant le coté pratique les aidera à l’adapter !

    Jeune ou adulte, il faut surtout ce lancer ! Tester est la seule manière de découvrir si le dispositif répondra à ses propres attentes, si il s’insérera aisément dans le quotidien, et si il sera efficace !

  8. Le TBI, c’est bien le matériel !

    […] la grande taille du TBI fait du tableau interactif un objet ouvert (par opposition à l’ordinateur traditionnel, qui est un objet […]

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