Ecole numérique: en avant vers le passé !

Retour Vers Le FuturLa révolution numérique met fin à l’identification totale de l’école avec l’enseignement.

Elle réhabilite, au moins dans une certaine mesure, l’apprentissage – tel qu’il se pratiquait avant la révolution industrielle, c’est-à-dire l’enseignement par l’exemple, par contact direct entre l’enfant et l’adulte au détriment de l’enseignement scolaire traditionnel.

L’importance du savoir expérimental et technique augmente au détriment du savoir général et théorique (comprendre ceci, c’est déjà, dans une certaine mesure, comprendre pourquoi les Etats-Unis, où le savoir technique est considéré plus que n’importe où ailleurs ont pris la tête de cette révolution).

Une partie de plus en plus importante de l’enseignement (vision optimiste) ou de l’abêtissement des masses (vision pessimiste) se fait nécessairement en dehors de l’école.

Le rôle du professeur en tant que détenteur d’un savoir de base diminue, celui des parents en tant que « chargés permanents d’orientation » augmente.

Cette révolution numérique est donc vécue, par beaucoup de parents et d’enseignants, comme un retour en arrière, car les arguments ci-dessus ont, depuis Jules Ferry, été prônés par ceux qui cherchent à affaiblir l’école (en réduisant l’âge minimal pour la quitter, en donnant aux parents plus de pouvoir sur les enseignants, en prônant les cycles courts de façon à ce que les jeunes soient rapidement utiles pour l’industrie, ce qui correspond à une vision utilitariste et non pas républicaine).

Ainsi, le récent rapport Fourgous est sous-tendu par des partis-pris idéologiques qui n’ont rien à voir avec la Révolution Numérique. Fourgous est fasciné par le soi-disant « modèle » anglais. On peut ainsi lire que :

« “Le gouvernement britannique n’impose ni directive technique, ni directive organisationnelle, il donne une grande flexibilité aux collectivités et aux établissements, cette souplesse fait partie des forces du Royaume-Uni.

Le chef d’établissement dirige son établissement comme une entreprise. Il recrute ses enseignants et les évalue.

L’établissement dispose d’une très large autonomie dans son fonctionnement quotidien, ses objectifs, ses inscriptions et dans sa recherche de mécènes.

Cette approche « libérale » permet la création et la pérennisation d’emploi. »

ou encore, sur le rôle de l’industrie privée à l’école, dans le même rapport

“Le privé a toute sa place pour participer à l’amélioration des moyens mis à disposition du système éducatif.”

De telles affirmations n’ont rien à voir avec le progrès. Sous couvert de prise en compte de la Révolution numérique, il s’agit en fait de casser le rôle de l’école en tant que source d’égalité entre les citoyens et d’ouvrir le marché de l’école aux entreprises privées – c’est-à-dire de transformer écoles, élèves et professeurs en consommateurs. (Bruno Devauchelle parle à juste titre dans son blog « d’abandon des idéaux de 1789 et de générosité sociale »).

Le danger pour l’école se situe ici.

Consciences les plus éclairées et les mieux intentionnées, vous qui pensez que l’école a pour objet de former des citoyens et de donner une chance à tous, qu’elle doit permettre aux enfants de valeur de réussir quel que soit leur milieu d’origine, vous vous opposez déjà et vous vous opposerez de plus en plus à l’évolution que doit absolument subir l’école face à la révolution numérique.

Ce billet s’adresse avant tout à vous.

Vos raisons sont compréhensibles car un grand nombre des promoteurs de l’école numérique s’en servent évidemment comme d’un faux-nez dans le but de justifier ce qui est pour nous tous un énorme retour en arrière.

Il n’empêche : l’école doit muter de façon profonde. L’importance de cette mutation est trop grande pour qu’elle soit confiée uniquement à ceux qui ont, de tout temps, cherché à l’affaiblir.

La révolution numérique est là, elle induit une évolution rapide et risquée pour notre école que nous devons accompagner au mieux. , J’aimerais vous convaincre que l’immobilisme est encore plus risqué pour nos enfants et qu’il aurait deux conséquences extrêmement graves :

  • Un déclin national.

    De façon ultime, le déficit commercial – maintenant devenu structurel – de la France signifie que, dans le concert des nations, le pays est de moins en moins capable de tirer son épingle du jeu.

    Ce déficit, qui représente un appauvrissement en train de se produire, est beaucoup plus inquiétant que la Dette, qui traduit un train de vie passé.

    Très largement, ce déficit est lié au retard numérique de la France depuis 40 ans et à son incapacité à se doter d’une culture numérique performante (1).

  • La fin de l’école publique.

    Si l’école ne s’adapte pas, elle disparaîtra purement et simplement. Les « meilleurs » parents n’y enverront plus leurs enfants et seuls ceux provenant des milieux les plus défavorisés y seront scolarisés.

    Le mouvement a d’ailleurs déjà commencé : il suffit de constater le rééquilibrage (de niveau, de recrutement) qui s’est produit depuis 30 ans en faveur de l’école privée sous contrat.

    Quel que soit le discours affiché, la grande majorité des parents envoie aujourd’hui leurs enfants dans le privé pour des raisons sociales et de qualité d’enseignement. Si l’école publique n’était pas en déclin, les raisons du choix seraient avant tout de nature confessionnelle.

    Or, quelle est la grande différence entre le privé et le public ? Le rôle des parents – ce simple fait permet au privé d’aborder la révolution numérique avec plus d’atouts aujourd’hui.

  • Tout nouveau projet politique de l’école ne peut être pensé que comme une réponse à la question suivante : alors que l’école ne répond plus ni aux besoins économiques, ni aux besoins sociaux de la Nation, comment peut-on la faire évoluer, la corriger pour qu’il y ait à nouveau convergence ? Comment conserver vivant le mythe pédagogique, comment en faire le terreau, et non pas le tombeau, de l’égalité entre les citoyens ?

    (Dans mon prochain billet, j’aborderai un autre “risque nécessaire” lié à la transformation numérique de l’école: celui de la rupture d’égalité entre les élèves.)


    1. J’ai souvent parlé du retard immense que nous avons accumulé dans ce domaine depuis 40 ans et je ferai quelques propositions à ce sujet dans un prochain billet.

    (3) commentaires pour "Ecole numérique: en avant vers le passé !"

    1. De la rupture d’égalité induite par l’équipement numérique des élèves.

      […] le veut et le peut, l’utilisation de ces matériels devrait être absolument préconisée et les raisons sont identiques à celles exposées dans le billet précédent : si l’école publique ne les intègre pas, les parents les plus éclairés iront voir ailleurs et […]

    2. Bonjour,

      Petit commentaire sur quelque chose qui me hérisse toujours le poil: l’âge minimal de fin d’école obligatoire. (que vous semblez vouloir pousser plutôt vers le “+” que vers le “-“)

      Autant je comprends le souci de préserver une formation complète aux enfants, autant … quand je vois comment sortent un (trop grand) nombre de mes élèves du lycée… je me dis que l’objectif est loin d’être rempli (élèves qui doivent depuis de trop nombreuses années passer d’une classe à la suivante car “redoubler ne sert à rien” et qu’à force d’être coulés et submergés la seule chose qu’ils apprennent parfaitement c’est … de savoir ne rien faire !!! je plains leurs futures employeurs)

      Alors certes de là à remettre les enfants au travail à 8-12 ans il y a un pas qui j’espère ne sera jamais franchi. Mais 16 ans c’est déjà beaucoup (et peu d’un autre point de vue j’en conviens) …

      Bref autant je suis d’accord de donner les meilleures chances possibles aux enfants, autant je doute fortement que le système actuel (et entre autres l’école obligatoire jusqu’à 16ans, avec dans les fait une pression sociale pour “avoir son BAC” … ce qui ne sert pas à grand chose si c’est rasibus et sans objectif) réponde à cette problématique!

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