Les 6 piliers de la sagesse d’une nouvelle école numérique.

L’école est donc confrontée à de nouveaux modes d’enseignement qui la concurrencent. Quels sont les piliers de l’école qui doivent être repensés de A à Z sous la pression de la Révolution Numérique en cours ?

(Je recommande au lecteur pressé de se diriger immédiatement vers les deux derniers piliers de ce billet, évaluation et mobilité, qui sont à la fois les plus méconnus et ceux qui modifieront le plus en profondeur l’école de demain).

La personnalisation : L’école de Jules Ferry apportait à l’ensemble des citoyens un savoir presqu’indifférencié, délivré par des professeurs qui sortent de la bien nommée école normale et sanctionné par le baccalauréat.

Les parcours alternatifs au tronc commun de l’enseignement sont presqu’impossibles.

L’école de Jules Ferry crée des corps d’ingénieurs et d’ouvriers spécialisés performants pour l’industrie : les ressources nécessaires pour faire de la France une grande nation industrielle. Elle est elle-même organisée – taylorisée – comme une gigantesque usine.

Avec Internet, la production indifférenciée de masse, caractéristique de la révolution industrielle est remplacée par la consommation de masse de produits virtuels. Le marketing et la communication prennent le pas sur l’ingénierie. Le monde devient connecté, outillé, créatif. Les besoins de formation et les formes d’éducation qui en résulte doivent être radicalement transformés.

L’éducation doit être plus personnalisée. Il s’agit autant maintenant « d’apprendre à apprendre », d’apprendre à chercher, que d’emmagasiner des connaissances académiques communes.

Les nouvelles technologies (simulations, parcours à distance…) nous apportent les outils qui permettent de personnaliser les apprentissages et les parcours – la forme et la structure de l’école doivent être modifiées pour en tirer parti.

L’interaction et la collaboration : L’enseignement né de la révolution industrielle privilégie la transmission didactique du savoir du professeur vers l’élève. L’interaction avec l’ ordinateur permet aujourd’hui de donner à un élève un retour immédiat sur la tâche qu’il est en train d’accomplir, sa performance, etc…

La collaboration permet à des groupes d’élèves d’améliorer leur performance dans un grand nombre de domaines où les capacités à travailler en commun sont absolument nécessaires (négociation, recherche de solutions, sessions créatives de travail, etc…).

La documentation : Aristote est le premier sans doute à avoir compris le rôle crucial de la bibliothèque dans l’enseignement. Tout élève a accès aujourd’hui à plus de documentation que ce qu’Aristote n’aurait jamais pu imaginer.

L’instantanéité d’accès, la largeur du fond documentaire disponible est sans doute la caractéristique d’Internet qui est apparue à tous de la façon la plus immédiate et la plus évidente.

Dans cette meule de foin qu’est Internet, trouver le savoir pertinent devient une tâche complexe. Professeurs et parents deviennent largement des orientateurs plus que des transmetteurs de savoir. Les machines permettant de mieux rechercher l’information restent à améliorer. L’école doit apprendre aussi à évaluer les élèves « à ordinateur ouvert » et non plus simplement sur des savoirs mémorisés.

L’évaluation. La technologie numérique rend l’évaluation des élèves, des professeurs et des politiques scolaires beaucoup plus rapide et facile, à tel point qu’il devient possible de diriger toute la politique scolaire grâce à ces nouvelles techniques.

A partir du moment où des batteries de tests tels que des questionnaires à choix multiples sont donnés à quelques milliers d’élèves, de façon à obtenir des résultats ayant une signification statistique, il est possible de déterminer de façon comparative :

  • Le niveau à l’instant t des élèves – et donc l’enseignement qui leur est le mieux adapté
  • La performance des professeurs (par analyse statistique des progressions des élèves qui leur sont confiés).

    Ceci permet de récompenser les meilleurs professeurs, de s’inspirer de leurs méthodes, de leur confier les élèves qui ont le plus besoin d’eux, etc…

  • La performance comparative des méthodes scolaires et les résultats des expérimentations pédagogiques.

    Méthode globale ou syllabique ? Tableau interactif ou pas ? Enseignement frontal ou Collaboratif ? – Toutes ces questions, qui mènent aujourd’hui à des débats sans fin et sans intérêt, pourraient être tranchées en quelques semaines avec des méthodes dites d’évaluation aléatoire).

L’évaluation est probablement le facteur le plus important et le plus méconnu de la révolution éducative à venir. A partir du moment où on rassemble suffisamment de données, la statistique permet de dégager des lois générales profondes.

Aujourd’hui, ces données peuvent être fournies par les élèves à partir d’un ordinateur, d’une tablette, d’un téléphone, de façon presque continue. Des entreprises commerciales (Google, Facebook) se servent avec succès de ces données dans le but de vendre des bandeaux publicitaires ; Il est temps de s’en servir dans un objectif d’intérêt général.

On peut par exemple arriver à préciser la notion de « bon professeur » en obtenant, après analyse des données, la probabilité que tel professeur fasse progresser tel type élève – ce qui conduirait à confier l’élève au professeur le plus adapté à son profil.

Avec les outils d’évaluation adéquats, l’école peut devenir un processus dit « d’optimisation sous contrainte ». Comme le processus d’évolution améliore en permanence la performance des êtres vivants, toutes les initiatives peuvent être évaluées, et les meilleures sélectionnées et généralisées.

Le pays qui tirera le plus d’avantage de la révolution numérique sera celui qui saura le mieux utiliser ces nouveaux outils d’évaluation.

La mobilité

Personnalisation, interaction, documentation, collaboration, évaluation ; la réflexion sur la mobilité transcende les différents “piliers” énumérés ci-dessus et peut être considérée comme un axe bien à part ; nécessitant une réflexion et des solutions spécifiques.

Les moyens d’enseignement mobiles, aujourd’hui regardés avec méfiance ou même bannis de l’école, vont s’imposer très rapidement, que ce soit au niveau des enseignants ou au niveau des élèves.

Il est évident, dès à présent, que les moyens mobiles sont indispensables pour tout ce qui touche à l’enseignement à distance ou à la maison (équipement des élèves). Mais les professeurs vont aussi utiliser ces moyens pour évaluer les élèves, construire leurs cours de façon personnalisée et les écoles peuvent investir dans de tels moyens pour partager les investissements entre plusieurs professeurs, salles et élèves.

La mobilité est un facteur clé de propagation du savoir.

C’est une loi générale: “Plus le support de l’information est léger, petit, lisible, transportable, copiable, partageable, bref, plus le support est nomade, plus l’information et le savoir se répandent“.

La crise accélère le mouvement vers le nomadisme car le nomadisme permet de réduire doublement l’investissement de l’état. D’abord, 90% des élèves sont ou seront équipés de moyens mobiles à coût nul pour l’état. Ensuite, les équipements fixes non partageables sont aussi remplacés par des équipements mobiles en partage, seule solution permettant de rendre crédible toute politique d’équipement des écoles en temps de crise (1) .


(1) A titre d’exemple, Le récent rapport Fourgous (avril 2012) identifie assez bien, quoique de façon empirique, incomplète et sans réflexion critique, les cinq premiers domaines ci-dessus mais oublie l’importance de la mobilité. En conséquence, le chiffrage fourni par Fourgous oscille entre 5 et 25 milliards d’euros, ce qui rend évidemment toutes les politiques impossibles car l’Etat n’est plus à même d’assurer de telles dépenses. Un bon usage des moyens mobiles permet de diminuer ces budgets d’un facteur au moins égal à 10.

(4) commentaires pour "Les 6 piliers de la sagesse d’une nouvelle école numérique."

  1. Je me permets de répondre à ceci quand même et mettre en avant la faiblesse des résultats de QCM pour faire remonter un soit-disant “niveau” de l’élève.
    On parle de quoi ? de ce qu’il sait faire ? de sa capacité à lore et comprendre des questions ou répondre à un QCM ? de réflexion ? de mémorisation ? de persévérance ?
    A-t-il bachoter des questions identiques avec son professeur (cf les évaluations en primaires qui sont devenues ridicules car certaines écoles travaillent spécifiquement les exercices demandés sans que les élèves n’y comprennent rien)

    Concernant les performances du professeurs, mêmes remarques, va-t-on évaluer ses capacités à motiver, à faire comprendre et réussir, ou à répéter des exercices types ?
    (sans compter l’extrême diversité des types d’élèves, même au seins d’une classe qu’il va être difficile de répercuter dasn les “petits groupes” de l’évaluation aléatoire)
    Les élèves seront-ils mieux formés ou seront-ils formatés à répondre à l’évaluation pour le bénéfice de leur enseignant/école ?

    Mêmes remarques sur les performances des méthodes innovantes, mais je rajouterai un point important : beaucoup coutent cher en moyen et ne sont mises en place que sur un groupe restreitns et ne seront jamais généralisées faute d’argent.

    Pour finir, je cite un extrait de la page mise en lien sur l’évaluation aléatoire :
    “Nous avons sélectionné un groupe d’écoles de manière aléatoire et avons mis à leur disposition un formateur et des logiciels de mathématique, de sorte que tous les enfants bénéficiaient de quelques heures d’informatique par semaine. Un an plus tard, nous avons comparé les performances.”

    Tout est dit, car ce n’est jamais le cas en France, pour cause d’économie, il n’y a aucune formation pour familiariser les enseignants avec aucune des grandes réformes mises en place ni avec l’utilisation du numérique (je ne parlerai pas des formations anecdotique du genre une demi journée :p )

    Sébastien

    • Bonjour,
      Le QCM permet de tester les élèves de façon très approfondie et beaucoup plus qu’on ne le pense en général en France, où il est sous utilisé.
      S’il est bien conçu, il propose souvent des réponses exactes, des réponses fausses et des réponses “légèrement fausses” (correspondant à une erreur fréquente, ce qui est déjà un début de correction pour un élève).
      Pendant ma scolarité à Stanford, je n’ai été pratiquement testé que par QCM, même pour des épreuves très créatives a priori, et n’ai jamais constaté de déficience dans l’évaluation par rapport à ce que j’avais vécu en France – en fait, j’étais largement aussi bien évalué, sinon mieux. le QCM supprime aussi de nombreux biais (rédaction, écriture).
      A noter qu’il est souvent plus difficile, pour un enseignant, de concevoir un QCM intelligent qu’une épreuve traditionnelle.
      A noter aussi qu’évidemment, le QCM ne peut pas tout remplacer. Une dissertation de philosophie n’est pas du domaine du QCM. Mais 20 à 80% des épreuves, tous niveaux confondus, sont accessibles à ce genre de technique. Et on est donc dans ce qu’on appelle le “statistiquement significatif”.

      Quant aux anormalités que vous évoquez (bachotage…), ils ne sont pas propres au QCM mais à tous les types d’évaluation et d’examen.

      Surtout tous ces effets dits “d’aberration” sont traitables statistiquement si on recueille suffisamment de données . Et ce que je propose d’évaluer, concernant les professeurs, c’est dans un premier temps la progression des élèves sur l’année scolaire. Si un professeur reçoit un élève qui est au 3500 éme rang national en maths et le fait passer au 3000é rang, et que cet effet se répète sur un grand nombre d’élèves, on peut considérer qu’une partie de sa mission est atteinte.

  2. Rebonjour,

    concernant le bachotage, c’est à mon avis le fait que ce soit une évaluation visant à définit un “niveau” de l’élève ou de l’enseignant qui le favorise.

    En France les élèves sont, d’après les études internationales, beaucoup trop scolaire et stressé par les résultats attendus, et pêchent sur la prise d’initiative. Il faudrait sans doute leur laisser plus de marge de manœuvre sans les évaluer sans cesse.
    Un QCM peut en effet être un excellent moyen d’évaluer un élève, mais pour le faire progresser j’ai quelques doutes (mettre en avant les erreurs classiques soit, mais proposer des méthodes qui marchent à tous les coups pour que l’élève progresse, ça me semble difficile)

    Il ne faudrait pas non plus oublier que les évaluation orales (qui écartent également les difficultés de l’expression écrite) mais, évidement sont chrono et argentophage

  3. Ecole numérique: en avant vers le passé !

    […] n’empêche : l’école doit muter de façon profonde. L’importance de cette mutation est trop grande pour qu’elle soit confiée uniquement à […]

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