A la recherche de la valeur travail : égalité républicaine et valeur travail (2)

(la suite tant attendue de “A la recherche de la valeur travail : le droit à la paresse“)

Dans le billet précédent, nous avons vu ensemble, cher Lecteur, qu’on ne pouvait justifier la notion de droit ou de devoir de paresse. Je te précise quand même, à toute fins utiles, que la paresse n’est pas le repos et que je n’entends nullement remettre en cause le droit au repos, surtout après un travail bien fait. Mais le droit à la paresse ne nous a rien dit rien sur la valeur travail elle-même et il faut s’attacher à mieux la définir.

Le travail initialement interdit aux élites

Le travail n’est devenu une notion noble que récemment. Chez les grecs, seuls les esclaves travaillaient et les citoyens libres dédiaient leur temps aux activités dites nobles (telles que la philosophie, la géométrie, la guerre …). En temps de paix, le citoyen grec libre se consacre donc uniquement à ce que nous appelons aujourd’hui “loisir”. Dans l’Ancien Régime, les nobles ne travaillaient pas, ne commerçaient pas. C’est la Révolution qui introduit la notion de travail pour tous, au nom de l’égalité et du respect du Contrat Social de Rousseau, qui définit précisément le point de contact (frictionnel) entre liberté individuelle et la société, imposant au citoyen des “devoirs”, dans l’intérêt général. Chaque citoyen est alors censé participer à l’effort collectif que mène l’homme face à la nature. Refuser de mener cet effort en invoquant un droit à la paresse, c’est une rupture du contrat qu’impose la société à l’individu. C’est une forme de malhonnêteté envers la collectivité souveraine qu’on peut comparer, dans l’esprit, au refus de faire son service militaire ou à la fraude fiscale. 

La paresse en tant que morale de l’assistanat

On commence à rentrer ici dans la notion morale, qui devra définir la valeur travail, même si c’est sous l’angle de la nécessité, même si c’est en quelque sorte “à l’envers”. Le travail est nécessaire, il n’élève pas forcément l’être humain mais ne pas se plier à cette nécessité collective est en tout état de cause une fraude immorale. Il n’y a pas forcément de “valeur travail” mais il y a un état immoral, qui est l’oisiveté. Cette opinion reste très répandue aujourd’hui et c’est pourquoi les déclarations sur le “droit à la paresse”, qui provenaient de représentants de mouvements d’extrême gauche (LFI et EELV) ont choqué. Pour un grand nombre de gens, l’indemnité chômage, par exemple, est nécessaire face aux accidents de la vie mais une aide permanente destinée à soutenir l’inactivité, nommons ceci “assistanat”, n’est pas acceptable pour des raisons morales, pas plus que ne le serait un soutien à la fraude fiscale. Et cette idée, quoi qu’en pense Aymeric Caron, est une idée de gauche.

Pourquoi ? Parce que, comme nous l’avons vu, les sociétés où tout ou partie de la population ne travaille pas sont des sociétés serviles ou en route vers la servitude. Si la classe dominante ne travaille pas, c’est que le reste de la population est asservie, comme dans l’Ancien Régime. Quand c’est le peuple qui ne travaille pas, la société est une dictature en devenir comme Rome l’a été sous le règne du “panem et circenses” ou comme la société totalitaire qu’évoque brillamment Orwell dans 1984. Le “panem” romain, c’est l’équivalent du revenu universel pour la plèbe, l’assistanat de toute la population pauvre qui va de pair avec le “circenses”, le loisir, visant à  distraire les esprits. L’ensemble a pour but d’amollir toute velléité de résistance, de mettre la population en état de servitude volontaire. En prônant droit à la paresse et revenu universel, l’extrême-gauche oublie le contrat social, balaie la notion de citoyenneté républicaine et ouvre la voie à la dictature. Cela s’appelle oublier d’où on vient.

Vers une valeur paresse

Pourquoi donc cet oubli, en rupture totale avec sa tradition historique ? 

L’explication nous est encore donnée par les penseurs de gauche. Pour Marx, la conscience sociale et la morale résultent des conditions économiques, dont elles forment une espèce de superstructure. Pour Proudhon,  “La pensée d’un homme, c’est son traitement”. A partir du moment où, comme c’est le cas en France, un large partie de la population est  structurellement assistée, l’état de chômage permanent devient une sorte de métier à plein temps et il est inévitable qu’une morale associée à cet état économique se crée. Le chômage, honteux au départ, devient le “droit à la paresse”  et n’est plus vécu comme une contrainte mais comme une condition sociale comme une autre. On doit alors augmenter  la rétribution de la paresse, c’est-à-dire les minima sociaux, au détriment de la rétribution du travail. L’argument de l’extrême gauche va au-delà du clientélisme: il prend en compte la nouvelle réalité économique et la création d’une classe d’assistés permanents, ayant sa propre morale, dont l’extrême-gauche, reniant sa mission historique, protègerait les intérêts.

L’impossible liberté au travail

Mais quelle est donc cette mission historique de la gauche ? Notre chasseur-cueilleur a une productivité très faible,  nous l’avons vu, comparée à celle du travailleur moderne. Mais il est seul, libre d’agir, face à la pression aveugle que lui fait subir la nature alors que le travailleur moderne, subissant l’organisation moderne et la mécanisation de son poste de travail, est face à un commandement humain qui  l’aliène. “La nature peut constituer un obstacle, une résistance mais seul l’homme peut enchaîner” (Simone Weil). Il semble que l’homme ne puisse se débarrasser de la pression de la nature sans créer sa propre oppression, bien humaine. Tout gain de productivité (l’agriculture, l’industrie…) permettant de développer économiquement les sociétés humaines est comme lié à des structures oppressives (esclavage, servage, taylorisation…)  aliénant l’individu. Le travailleur devient un simple outil de production, une chose. Le travail est une aliénation et n’est plus que ceci. La mission historique de la gauche est donc de protéger l’individu contre cette organisation aliénante, que Marx a identifiée et dénoncée dans le capitalisme. 

L’origine philosophique des 35 h

Aucune valeur travail n’est compatible avec le travail à la chaîne. Aucune amélioration morale de l’Homme n’en sort. Un travailleur à la chaîne subit, devant sa machine, une vie inhumaine – même s’il joue un rôle social important vis-à-vis de la société. Sa profession est purement utilitaire. Pendant qu’il travaille, l’ouvrier est soumis à sa hiérarchie, n’apprend rien, ne progresse pas. Au travail, il n’est plus vraiment un homme, plutôt une fourmi au service de la collectivité.

Il n’est donc homme que pendant ses loisirs et, même si évidemment il y a de moins en moins de travail à la chaîne en France, cette vision conduit inéluctablement à une volonté de réduire le temps du travail et d’augmenter les loisirs. C’est là l’origine de la vision que la gauche a mise en œuvre ces 30 dernières années et cette vision est probablement partagée par un grand nombre de français, d’employés de Speechi – pas par tous cependant: le travail est nécessaire pour vivre mais, même s’il peut avoir de bons côtés, finalement aliénant. Le temps passé au travail doit être réduit au nom du progrès humain. La vie épanouissante est ailleurs, en famille ou dans les loisirs.

(To be continued: Next : Nadal, Federer et la valeur travail)

(3) commentaires pour "A la recherche de la valeur travail : égalité républicaine et valeur travail (2)"

  1. Bonjour
    J’aurai pu avoir la paresse de ne pas vous répondre, mais au regard de la qualité de ces deux textes j’affute mon calam. Je prendrai un chemin parallèle celui de l’ennui qui disparaît peu à peu de nos sociétés. Je suis dans le train et au lieu de paresser je vous réponds et autour de moi chacun s’active à des activités qui les occupent pleinement, plongés qu’ils sont dans leurs écrans.
    C’est avec impatience que j’attends la troisième partie.
    Cordialement

  2. J’adore ce genre de débats.
    Pour ma part j’ai bénéficier (j’adore ce terme) du chômage 15 jour dans ma vie, j’ai 47 ans….
    Ces 15 jours étaient très bien indemnisés (encore un joli terme), a mon souvenir j’avais en 1997 même perçus plus que mon salaire…
    Aux élections présidentielles précédente il y avait Benoît HAMON qui avait comme programme le revenu universel, j’ai en premier lieu crié au scandale, impossible à tenir où puise-t-il l’argent… Et puis en se penchant sur le sujet, ce n’est pas si absurde que ça :
    Si on prend la totalité des aides reversés aux Français : Le Chômage, le RMI, l’aide au logement, les allocations familiales, la retraite… (voir une partie de la liste ici : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R54933)
    Ensuite on divise cela à part égale pour chacun d’entre nous (sans regarder ses revenus), on aura un système égalitaire (Liberté, Égalité, Fraternité), libre ensuite à celui qui veut améliorer sa qualité de vie de gagner de l’argent en travaillant et aux autres de ne pas mourir de Faim ou de froid (en dessous de 19 degrés ?) grâce à la fraternité des travailleurs.
    A méditer
    Merci pour vos articles, j’attends la suite avec impatience.

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