Zinedine Zidane, Guy Bedos et la valeur scolaire (réflexions sur une rentrée ordinaire de CM2).

Enzo ZiddaneLors de la réunion de rentrée des élèves de CM2, l’institutrice de ma fille a répondu aux parents qui demandaient plus de devoirs à la maison qu’il lui était dorénavant interdit de donner des exercices car de tels exercices sont socialement injustes: ils renforcent les différences scolaires entre les élèves “socialement favorisés” (ceux dont les parents peuvent s’occuper le soir) et les autres (que les parents ne peuvent ou ne veulent pas aider).

Cette position qu’on rencontre de plus en plus fréquemment (et que je retrouve presque telle quelle chez Bourdieu) résulte d’une grave confusion. Il est évident qu’une partie de la “valeur scolaire” d’un étudiant revient à son milieu social mais le reconnaître n’enlève rien à cette valeur. Le fils de Zidane jouera très probablement mieux au foot que le mien, le fils de Guy Bedos a de fortes chances d’être plus drôle mais mon fils baignera dans un milieu intellectuel qui le favorisera très probablement dans ces études (rien de tout ceci n’étant évidemment une certitude et je garde envers et contre tout l’espoir de voir mon fils un jour au Real ou de développer l’humour de Guy Bedos).

A quoi sert l’école ? L’école doit permettre à un maximum d’élèves de bénéficier, quelle que soit leur origine sociale, d’un milieu aussi favorable que possible au développement de leurs qualités scolaires. Au niveau du CM2, ceci peut se faire en aidant les élèves les moins favorisés à l’étude, par exemple. L’école ne doit pas empêcher les élèves de développer leurs qualités scolaires en les privant de la possibilité d’étudier. Une telle politique est de nature totalitaire comme le serait par exemple, une politique qui viserait, pour annuler toute source d’inégalité liée au milieu, à arracher les enfants à la garde de leurs parents dès le plus jeune âge pour les mettre en pension dans des conditions scolaires totalement identiques.

L’école est un outil de correction des injustices sociales liées au milieu. Cette correction est évidemment imparfaite puisque l’école reproduit toujours, en partie, les structures sociales et culturelles – c’est ce que Bourdieu entend quand il parle du “biais” de l’école. Il faut donc toujours, et sans relâche, améliorer l’école pour qu’elle puisse jouer son rôle “égalisateur” entre les enfants. Mais chercher à réaliser cette égalité en empêchant tous les enfants d’étudier, c’est la détruire.

Décréter que 80% d’une classe d’âge aura le bac n’est nullement en soi un progrès, si cela conduit à donner le bac à tous. Le vrai progrès consisterait à augmenter le nombre de bacheliers en gardant constant ou en améliorant le niveau du bac. La confusion que j’évoque conduit à la haine et à la destruction de tous les diplômes, puisqu’ils sont vus comme les symboles des injustices de classe plutôt que comme la reconnaissance des qualités individuelles des élèves (ces qualités individuelles étant évidemment, encore une fois, partiellement liées au milieu d’origine mais ce sont des qualités réelles et objectives, évaluables à l’aveugle lors des examens et concours).

C’est une des raisons pour lesquelles la qualité de l’enseignement en France baisse de façon constante depuis 30 ans (Commentaires du Nouvel Obs sur les études récentes de l’OCDE) – accessoirement une des raisons pour lesquelles la performance des enfants d’enseignants ne cesse de s’améliorer, ceux-ci étant les seuls ayant aujourd’hui la possibilité d’être aidés à la maison puisque les autres parents n’ont aucun d’exercice à donner à leurs enfants. Quand l’école “méritocrate” sera morte, que restera-t-il en France pour différencier les élèves ? Le piston.

(8) commentaires pour "Zinedine Zidane, Guy Bedos et la valeur scolaire (réflexions sur une rentrée ordinaire de CM2)."

  1. Bonjour,
    Je suggère à Thierry le prêt d’un tbi pour l’école de sa fille (comme piston, c’est pas mal !). Plus sérieusement, je partage votre point de vue et connais beaucoup de collègues professeurs des écoles qui donnent du travail à la maison (malgré les pressions de leur hiérarchie). Du travail, elle en aura de toute manière au collège !

    • Bonjour,
      Je suis tout à fait d’accord avec le point de vue de Thierry car on est plus proche d’un nivellement par le bas (plus facile à réaliser) que d’une volonté de faire progresser le niveau général… Pour ce qui est du travail au collège et même au lycée, je suis personnellement consterné par le peu de devoirs que ce soit au collège comme au lycée (et même en 1ère S…). Je vois la différence entre mon fils aîné et mon fils cadet (7 ans d’écart) et cette situation est affligeante…
      Pour ce qui est de l’injustice sociale, on a créé une nouvelle économie avec les cours particuliers payants (bien sûr) que seules les familles ayant les moyens financiers peuvent “offrir” à leurs chères têtes blondes, tout comme on peut, si on souhaite qu’ils aient un bon niveau en langue étrangère, leur “offrir” des séjours linguistiques…
      Pour avoir expérimenté les deux avec mes aînés, c’est imparable dans la mesure où 15 jours de séjour linguistique est plus performant qu’une année scolaire en langue étrangère surtout pour l’accent et la fluidité. Cela renforce la confiance en soi à l’adolescence qui est un atout majeur pour eux surtout quand ils doivent s’exprimer devant leurs camarades de classe…

  2. Je partage votre point de vue, et les dernières études de l’OCDE montrent où nous ont mené de tels principes égalitaristes. C’est le nivellement par le bas. Il faut travailler à ce que ce soit le niveau général qui monte, avec une émulation raisonable. Pour ce qui est des devoirs, il ne faut pas qu’ils dépassent 20 minutes, mais pourquoi distinguer un apprentissage écrit ( interdit) d’un apprentissage oral (autorisé)

  3. Bonjour,

    je souhaite réagir rapidement à votre commentaire sur le fait que certains enseignants ne donnent plus (assez) de devoirs ou plus du tout.
    1- En effet, face aux devoirs, ce sont toujours les mêmes qui en profiterons
    2- non les devoirs n’ont jamais permis d’améliorer la performance scolaire d’un élève
    3- oui c’est souvent pour les parents un moment de grande tension inutile et mortifère pour le rapport au savoir et à l’école
    4- Qualitativement, je ne suis pas certain que le fait de réviser la règle de l’accord du pluriel dans le groupe nominal ou sur les compléments de verbe ou sur la différence entre l’adjectif attribut ou épithète ait jamais fait d’un élève un citoyen performant et lui ait permis de développer ses qualités intrinsèques
    5- LEs bons élèves comme les autres ont surtout besoin d’un nourrissage culturel à haute dose quotidien. Mission que l’école essaie (parfois très bien et parfois fort mal) de remplir. MAis que les parents peuvent aussi remplir avec souvent beaucoup de bénéfices pour leurs relations avec leurs enfants. MAis le fait de ne pas donner de devoirs ne peut pas empêcher un enfant d’étudier au contraire, si les parents s’y prennent bien, cela lui laisse du temps pour s’ennuyer et donc pour être plus créatif. Il faut arrêtrer de remplir le temps de l’enfant.
    6- LEs journées des enfants sont déjà très remplies et très longues. Même nous en tant qu’adultes nous aurions du mal à supporter cela. Alors ne rallongeons pas la sauce avec des devoirs longs et souvent inutiles par rapports aux compétences et connaissances à acquérir.
    7- Parmi les nations qui ont les meilleurs résultats PISA ou OCDE, la Finlande et le Danemark ne proposent pas à leurs enfants des journées, des semaines et des années aussi fatigantes ni de devoirs. On y travaille moins et mieux. C’est peut être vers cela que nous devrions aller. En France, on ne prépare pas nos enfants à être des adultes heureux, coopératifs et créatifs mais on les prépare à des examens et des concours.

    Donc oui à la culture, à l’ennui et à la création.
    Bon weekend

    • Votre point de vue correspond très exactement à la position officielle. Votre point 1, c’est bien la confusion dont je parle dans mon billet.

      Mais surtout, au delà de tous ces points où nous ne nous mettrons pas d’accord, ce qui en soi n’est pas si grave, ce que dénonce mon billet, ce n’est pas que, comme vous l’écrivez “certains enseignants ne donnent plus de travail” mais bien que les enseignants n’ont plus le droit de le donner. Les enseignants sont divers, il y en a des bons, des excellents, des mauvais. Que certains, par ci par là, estiment que ne pas donner de travail est mieux pour l’enfant est en fait normal, c’est une théorie comme une autre et on peut croire en cette théorie en restant même bon enseignant. Ainsi, le meilleur prof de maths que j’ai jamais eu était-il aveugle et n’écrivait-il jamais au tableau. Ce n’est nullement une raison suffisante pour crever les yeux de tous les profs de maths et bannir le tableau.

      Le problème est d’abord qu’en formation, cette “thèse” (en fait une idéologie) est enseignée aux enseignants sans aucun recul critique et surtout que les enseignants qui ne se conforment pas à cette pratique sont sanctionnés en inspection : c’est cette pratique qui est de nature totalitaire.

      • Bonjour,
        Vous dites: “certains enseignants ne donnent plus de travail” mais bien que les enseignants n’ont plus le droit de le donner.” En fait les PE/instit n’ont jamais eu le droit de le faire… Loi/circulaire des années 50 je crois.
        Maintenant par expérience, donner des devoirs implique de les corriger et pour faire cela correctement il faudra prendre du temps de classe qui ne sera pas consacré aux apprentissages… Et comme les décideurs n’ont fait que charger les programmes au fil des réformes cela ne facilite pas la tâche des enseignants.
        Perso j’ai toujours été pour la qualité et non la quantité!

        • 1) Pour moi, les programmes ont été constamment allégés. Et quand je regarde, par exemple, le programme de maths actuel de Terminale S, il correspond grosso modo à mon programme de seconde ou première.
          2) Il me semble évident que ces devoirs doivent être corrigés en classe. La correction est un apprentissage utile.
          3) Si la qualité, c’est le renoncement à tout effort personnel, alors, comme dirait Camus, je suis contre la qualité.

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