Internet: le début d’une illusion

Soi disant, Internet représenterait une chance pour le savoir humain. Google référence aujourd’hui plusieurs trillions de pages. Son objectif est de numériser tous les livres au prétexte pompeux que « le plan de numérisation permettra de rendre à nouveau accessibles des ouvrages épuisés et introuvables ».

Savoir potentiel n’est pas savoir réel

Mais comme personne n’a la possibilité physique de lire toutes ces pages – tout ceci ne constitue que le savoir disponible potentiel. La quantité réelle de savoir disponible ne peut être quantifiée que de façon statistique. Le Web est intéressant si le temps moyen passé par un internaute sur des pages contenant du savoir est important. Le savoir disponible, c’est la quantité moyenne de savoir à laquelle un internaute accède réellement – et non pas potentiellement – au cours d’une session, d’une journée, d’une vie, multipliée par le nombre d’internautes.

Or cette quantité de savoir réellement disponible, qui n’a d’ailleurs jamais été très élevée sur le Web, diminue structurellement de jour en jour, Google étant l’acteur majeur, bien que probablement involontaire, de ce rétrécissement.

Google crée du trafic, si possible sponsorisé, pas du savoir.

Les algorithmes de Google ont pour objectif final de maximiser le revenu obtenu en cliquant sur les liens sponsorisés. Pour ceci, Google se doit d’être pertinent dans ses résultats (sinon vous utiliserez un autre moteur) et dans ses propositions publicitaires (sinon le revenu de Google diminue).

Pour Google, la qualité des résultats est donc un moyen, non une fin. Un jour apparaîtront, chez Google ou ailleurs, des techniques donnant des résultats moins pertinents mais plus rémunérateurs, à travers une probabilité accrue de clic sur un lien sponsorisé.

Google vous incite, en moyenne, à aller vers les pages les plus intéressantes pour les annonceurs, qui sont sa source de revenu. Le mécanisme avec lequel il y parvient est presqu’invisible, mais toujours amélioré car Google, disposant d’un réservoir permanent et infini de statistiques, est capable presqu’instantanément de déterminer si tel ou tel changement d’algorithme conduit à plus ou moins de revenu. Conséquence: vous passez toujours de plus en plus de temps sur des pagés générant du revenu pour Google.

Google s’adresse avant tout au consommateur qui est en vous, pas à l’homme ou à la femme de savoir. Votre soif de savoir, si tant est qu’un tel terme ait un sens, c’est l’alibi qu’il vous sert, le leurre avec lequel il vous attire. Laissez passer quelques années et vous vous retrouverez tous à lire des blagues idiotes, échanger des messages insignifiants sur Facebook, acheter en ligne ou à taper le mot le plus recherché sur Internet, c’est-à-dire « sexe »: vous ferez comme comme tout le monde.

Google ne vous rend probablement pas idiot, comme certains articles récents, fort intéressants par ailleurs, l’ont prétendu, il vous rend consommateur – et la consommation n’est absolument pas corrélée avec le savoir.

Sur le plan comportemental, la distinction entre savoir théoriquement disponible et savoir réellement disponible est immense. Prenez un étudiant ou un chercheur.

En théorie, il lui suffit d’avoir accès à Internet pour avoir accès à toute la bibliographie dans son domaine.

En réalité, s’il va sur Internet, il rentre dans une entreprise de distraction, au sens premier du terme, qui est celui de détournement. Au bout de quelques minutes, il a toutes les chances de se retrouver à faire autre chose que de la recherche (lire la bourse, les résultats sportifs, chatter sur MSN…). Cette distraction permanente est à comparer à son comportement en bibliothèque, isolé, sans rien pouvoir faire d’autre, dans une cellule avec ses quelques livres – l’avantage de la bibliothèque physique sur Google : l’absence de distraction.

Que le savoir disponible réel sur Internet soit très faible pour des raisons qui tiennent au comportement, aucun doute là-dessus. Même les plus optimistes sont conscients qu’Internet est avant tout une source de distraction et de temps perdu – et toutes les entreprises qui ont étudié le comportement sur Internet de leurs employés le savent.

Mais en outre, ce savoir disponible diminue non seulement au sens comportemental mais au sens quantitatif du terme, comme le suggère le titre de ce billet. Et voici pourquoi.

Une page qui contient de la pub sur Internet est « probablement » peu intéressante – l’éditeur du site de ces pages n’a pas pour objectif d’augmenter votre connaissance, mais de vous faire cliquer sur un lien sponsorisé. Une page sans pub a plus de chance d’être intéressante, au sens du savoir. Au moins, l’auteur a-t-il publié une information de façon désintéressée. La quantité de savoir disponible est corrélée au pourcentage du nombre de pages Web qui ne sont pas financées par la pub.

Or Google et toutes les entreprises qui vivent du Web orientent vos recherches pour que ce pourcentage diminue – essayez d’évaluer le pourcentage de pages sans publicité lorsque vous allez sur le Web. Ce pourcentage est réellement très, très faible. (Il est même possible que d’ici une heure, ce blog soit le seul espace consacré au savoir que vous aurez visité : profitez-en).

J’évoquais en mai dernier la fin de l’illusion cinématographique Né il y a 100 ans. Le cinéma qui promettait, le nouveau moyen d’expression culturel (sans même parler du cinéma en tant que nouvelle forme artistique) a aujourd’hui presque totalement disparu. Il est devenu un des principaux vecteurs de l’abêtissement général.

(4) commentaires pour "Internet: le début d’une illusion"

  1. La continuité pédagogique, la grippe, les grèves

    […] supérieur). Je ne peux que me féliciter de ce genre d’initiatives. Internet est à mon sens plus un danger qu’une chance pour les élèves et toutes les initiatives visant à en faire un outil de propagation du savoir […]

  2. Bonjour à tous,
    Je découvre cet article qui comme beaucoup d’autres se focalise sur l’aspect négatif d’internet, qui n’est pas négligeable loin s’en faut.
    Cependant, grâce à internet on peut (si on le désire) trouver des informations en un temps record, avoir accès à des documents stockés dans des endroits lointains ou encore obtenir mieux qu’un livre une vidéo.
    Le seul choix entre le divertissement outrancier et l’étude se situe dans la tête de la personne.
    Personnellement je ne me laisse pas dicter ma conduite par des penseurs qui analysent une seule facette de leur observation.
    Le mot effort introduit la maîtrise et elle même l’arbitrage réfléchi.
    Michel Watrin

  3. Bonjour,

    Je suis d’accord avec Michel. Ton article ne propose que le côté négatif d’Internet. Nous sommes encore entre 2 eaux à l’école. La grande majorité de mes collègues profs n’est pas à l’aise avec le Web et ne sait pas l’utiliser ni l’enseigner à des élèves, qui eux copient-collent avec allégresse. Le Web n’est pas Google même s’il est omniprésent. L’avenir est entre nos mains : c’est à nous de classer, chercher, proposer, voire créer notre propre sous-réseau ou moteur de recherche au sein d’Internet qui donnera accès à un savoir construit, organisé, de façon collaborative.
    Nos enfants se jettent sur le côté ludique de la chose, c’est bien normal. Dans 10 ans on en reparle.
    Bon je vous laisse je vais consulter mes mails, regarder le cours de la bourse, les résultats du Loto, et la recette du clafoutis aux cerises.
    Philippe Petitqueux

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