Plan numérique Peillon : peu de bruit pour pas grand chose

La semaine dernière, Pierre Bénichou proclamait, dans l’excellente émission “On va s’gêner” sur Europe 1 qu’il n’avait absolument rien à dire mais qu’il le crierait avec force partout, sur tous les média, jusqu’à la mort. Je ne suis pas loin de penser que Pierre Bénichou a anachroniquement inspiré Vincent Peillon.

Car enfin, de quoi est composé cet autoproclamé “ambitieux plan numérique”, que vous pouvez consulter ici ?

1. Des ressources pédagogiques ou services en ligne recyclés

Un gros tiers du plan est consacré à la mise en place de différents types de ressources pédagogiques et de services en ligne, avec une sorte d’inventaire à la Prévert (apprentissage des fondamentaux, films audiovisuels, correction en ligne des épreuves du brevet et du bac, cours d’anglais, web tv, apprentissage de la lecture, orientation des élèves sur Smartphone…).

Il est difficile (une fois de plus) de savoir ce que recouvre le terme “ressources” car il s’agit avant tout d’un catalogue de services à vocation mineure et qui plus est déjà développés au sein du CNED ou du CRDP depuis plusieurs années. Bref un recyclage, une opération d’autopromotion, l’Education Nationale se servant du plan pour “fourguer” les développements réalisés dans ses services – mais pas la base d’un plan numérique digne de ce nom.

2. Le développement des environnements numériques de travail (ENT)

Un petit tiers du plan est consacré aux ENT, le but pompeusement affiché étant de “renforcer les liens entre les familles et l’établissement”. Il s’agit de mettre en ligne le cahier de texte, le menu de la cantine, la “vis scolaire”, l’inscription des élèves aux établissements, etc…

Peut-être ces mesures sont-elles souhaitables, au nom d’une certaine productivité, mais le lien scolaire n’est en rien renforcé si vous suivez le comportement de votre enfant via Internet plutôt que via la cahier de correspondance.

Qui plus est on se demande pourquoi, dans le cas présent, l’Education Nationale, d’habitude si prompte à normaliser, n’impose pas le “portail” scolaire de l’établissement (qui peut sans problème être unifié dans tous les établissements) alors qu’elle impose les ressources numériques du CRDP (là où au contraire le tâtonnement et donc la diversité des sources sembleraient devoir être privilégiés).

3. Une erreur majeure: développer les usages plutôt que l’enseignement du numérique

Ce qui sous-tend un bon tiers du plan, c’est qu’il vise à développer les usages du numérique plutôt que l’enseignement du numérique (ce point est confirmé par les déclarations du ministre). L’enseignement du numérique lui-même est bouclé en 2 petites lignes totalement marginales (“Extension progressive d’une option “sciences du numérique” dans l’éventail des options proposées en terminale générale et technologique“). Or, j’en ai déjà beaucoup parlé dans ce blog, le numérique est une matière à part entière. Il doit devenir une compétence totalement intégrée aux programmes scolaires, comme le sont les maths et (devrait l’être) le latin et non pas juste un outil pour mieux apprendre. Il faut enseigner le numérique et non pas juste se servir du numérique pour enseigner. L’éducation nationale fait fausse route en s’attaquant au retard dans les usages qui est un symptôme et non pas la source du problème.

4. Une vision long terme qui n’aboutira pas.

Un tout dernier petit tiers est consacré à des développements à l’horizon 2017. Un réseau social inter-enseignants, un campus numérique sont par exemple prévus. Idées en elles-mêmes pas mauvaises mais en matière de développement informatique, toute personne expérimentée sait bien que prévoir un résultat dans 5 ans, ou pas de résultat du tout, c’est exactement la même chose. On ne voit pas pourquoi il faut 5 ans à l’Education Nationale pour accoucher d’un réseau social alors qu’il a fallu 2 mois à Facebook pour le faire et tout ce que montre le délai annoncé, c’est l’incapacité probable à mener à terme un tel projet.

Pour ceux qui ont bien compté, cela fait donc quatre tiers, mais il s’agit de tous petits tiers et si Raimu pouvait le faire, alors…

Picon Citron

Ajout 18/12/2012, suite à plusieurs critiques que j’ai reçues: Ce billet n’est pas une critique des travaux du CNED ou du CNDP, mais 1) de l’excès qu’il y a à faire passer pour un plan numérique la simple intégration des travaux du CNDP dans les écoles (alors que tous les travaux du CNDP ont vocation à y être intégrés, c’est même la raison d’être du CNDP) et 2) du mélange de genre qui consiste à financer le CNDP via le plan numérique, une partie importante des montants dégagés pour le plan retournant sous forme d’achat de ressources au CNDP, ce qui met avant tout en évidence le problème de financement du CNDP. Comptablement, cela permet aussi de requalifier des dépenses de fonctionnement en dépenses d’investissement, ce qui masque un déficit structurel.

(1) commentaires pour "Plan numérique Peillon : peu de bruit pour pas grand chose"

  1. Bonjour,
    C’est bon que les choses soient dites. Cela me donne envie, d’une part de ce commentaire et, d’autre part, de contribuer à la divulgation des idées et matériels que vous développez. Qu’ajouter à la recension que vous faites des décisions au sommet de notre napoléonienne pyramide, et qui tient du lifting de ce qu’était le lifting précédent. Des amis, observateurs de ce qui se passe entre l’enseignement et le numérique, le confirment. Mon fils, scolarisé dans le plus beau et riche lycée du bassin où nous résidons, le dit à façon : ” Il y a des TBI dans toutes les salles déclasse et personne ne s’en sert !”
    Serge

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