Quelles valeurs devons-nous développer dans nos entreprises ?

Lors du Summit OVH auquel j’ai été invité le 10 octobre dernier, un consensus s’est dégagé entre les entrepreneurs pour la recherche de possibilités de développements non soumis à l’hégémonie de la Chine ou des Etats-Unis.

Le Secrétaire d’Etat en charge du Numérique Cedric O, recherchant dans son intervention les raisons d’être d’une telle politique en a recensé trois : l’emploi, la souveraineté et les valeurs. Les deux premières raisons sont évidentes mais quand il a fallu trouver les valeurs, nationales ou européennes, qui pourraient différencier nos entreprises des entreprises américaines ou chinoises, Cédric O a été incapable d’en citer aucune et s’est limité à évoquer les « Terms of Use », les conditions d’usage des applications ou services développés par les Chinois ou Américains, en particulier lorsque ces conditions touchent aux données personnelles.

 

Ainsi, pour le Ministre, les valeurs, ce qui nous différencie des Etats-Unis, c’est la loi RGPD ! Avouons que ça manque un poil d’ampleur. Cette loi, dont la principale application pratique est (après avoir généré des milliards de mails de spam le jour de sa mise en œuvre, les entreprises spammeuses nous demandant toutes ensemble d’autoriser leur spam) qu’elle nous oblige à cliquer comme des fous pour accepter les cookies de tous les sites Web qu’on visite, est totalement inefficace vis-à-vis des applications des pays tiers car il est impossible de vérifier qu’elle est appliquée.

Les PME américaines ou chinoises passeront (passent déjà) outre sans risque, les GAFA passeront outre au risque d’amendes légères devant les enjeux et qui, arrivant trop tard, ne changeront pas la donne. Les entreprises françaises, forcées elles de s’y soumettre, seront retardées dans leurs projets.  Ainsi, nous avons encore enfanté un monstre juridique, nous nous sommes encore tiré une balle dans le pied avec cette loi.

Une loi n’est de toutes les façons pas une valeur. Il est significatif que Cédric O, qui a pourtant l’argumentation facile, ait été incapable de citer aucune valeur dans son intervention (et même en ce qui concerne la loi RGPD, il n’a pas affirmé qu’elle était supérieure ou inférieure aux lois des autres pays, mais simplement « différente »). Or, cette question des valeurs est très importante car pour un chef d’entreprise, le succès de l’entreprise est évidemment un paramètre important et donc, en l’absence de choix affectif fort le poussant à développer son entreprise sur un territoire précis, il choisira le territoire le plus intéressant économiquement ; ce territoire, aujourd’hui, ce n’est presque jamais la France mais l’Amérique.

En l’absence de valeurs  réelles et clairement déterminées, le but du gouvernement ne peut que se limiter à tenter de créer un espace économique de qualité comparable à l’espace américain de façon à limiter l’exode économique des talents vers les Etats-Unis.

C’est faire à mon avis fausse route, il n’y a rien à gagner, au contraire tout notre passé à perdre, à poursuivre l’américanisation de la France. La grandeur, passée et à venir j’espère, de la France est toujours venue de son rayonnement intellectuel et de sa capacité à ouvrir de nouvelles voies au genre humain. Peu importe la signification spirituelle que l’on met derrière ces termes – selon qu’ils croient au ciel ou qu’ils n’y croient pas, certains parleront de racines chrétiennes, d’autres de résistance, d’autres encore des principes de 1789 ou même de la Commune. Tout ceci, les américains, qui n’ont pas de passé, ne l’ont pas. Les chinois ont un passé riche, qui parfois peut d’ailleurs nous inspirer, mais il est très différent et la dictature les en prive largement (Kundera : “La lutte de l’homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l’oubli”). On sous-estime souvent l’impact de nos propres principes et je voudrais en donner trois exemples :

  • Il se passe à Hong-Kong des événements tout à fait exceptionnels et les étudiants de Hong-Kong (ainsi que leurs parents) que j’ai récemment pu rencontrer, attendent énormément de la France. Les Misérables sont aussi connus à Hong-Kong qu’à Paris. Dans ce confetti de liberté, en lutte contre la dictature chinoise, on espère évidemment beaucoup des USA et de l’Angleterre (Hong-Kong étant une ancienne colonie britannique), mais on est inspiré avant tout par la France.
  • J’ai étudié et travaillé aux USA pendant trois ans puis suis rentré en France – ce qui signifiait à l’époque la division de mon salaire par trois. Et pourquoi suis-je rentré ? Parce que la Silicon Valley, à moins que seuls votre travail et l’argent vous intéressent, est aussi une sorte de trou noir, où il vous sera difficile de sortir pour aller voir un Woody Allen car, outre le manque de temps, les cinémas le diffusent rarement, où la solitude des ingénieurs est sidérante (fussent-ils millionnaires), où les discussions politiques ou philosophiques sont rares en dehors des universités car les américains « productifs » éviteront ces sujets, par crainte de créer un conflit inutile ou pour des raisons de type politiquement correct, où un enfant pauvre ne pouvait recevoir une éducation correcte, les bonnes écoles étant payantes dès la maternelle. Dieu sait pourtant si j’aime ce pays, mais je ne me voyais pas y vivre. Dieu sait aussi combien la France était supérieure dans tous ces domaines aux Etats-Unis. Or, sur ces différents points, nous avons régressé depuis 30 ans ; nous rejoignons les américains sous l’influence de la mondialisation et de la politique européenne; ce n’est nullement un progrès. L’avenir est à la séparation affirmée avec l’Amérique, pas à la copie, même inconsciente, de l’Amérique.
  • Il faut trouver des projets typiquement français ou européens à développer, non pas singer les projets américains. Un exemple : l’intelligence artificielle permet aujourd’hui à des robots tracteurs de cultiver les champs de façon totalement automatique, avec une main d’œuvre nulle, jour et nuit. Ces robots tracteurs peuvent être électriques, c’est-à-dire silencieux, inusables, ayant un coût d’usage très faible (pour peu que nous n’ayons pas la bêtise de détruire nos centrales nucléaires). On peut aussi concevoir des robots défricheurs qui, repérant les mauvaises herbes ou des insectes, permettront de réduire ou supprimer les pesticides. Aujourd’hui, grâce à ces technologies, il est donc possible de recréer le bocage partout en France, de construire des petites parcelles, entretenues par des robots, qui permettront aux buissons, aux oiseaux et aux insectes de revenir sans augmenter les coûts de production agricoles ni faire baisser la production. Qu’attendons-nous ?

 

Je vous souhaite une très bonne année.

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