De profundis: la fin du TBI mobile eBeam Projection

Le TBI mobile eBeam Projection (développé par Luidia) est la petite équerre grise que vous connaissez et que nous distribuons depuis la fin de 2003. C’est le premier produit “matériel” que nous ayons proposé et il a été vendu en France avant même d’exister réellement. En 2002, Speechi n’existait pas encore et j’ai rencontré Luidia sur un salon en Californie, qui montrait alors l’ancêtre de l’eBeam Projection. Nous cherchions un TBI simple, utilisable avec notre logiciel Speechi (celui qui a lancé la société). Luidia m’a invité en 2003 et j’ai ramené avec moi les 10 premiers eBeams qui n’étaient pas en fait les produits finis mais des prototypes !

La roue réinventée eBeam

Roue TBI eBeam

Au cours de cette visite, nous avons aussi dessiné, sur un coin de table bien gras, la “roue” eBeam, qui est devenue la marque de fabrique du logiciel eBeam Scrapbook, d’abord, puis du logiciel Speechi ensuite. Il y avait deux grands principes derrière cette roue :

  • Mettre à disposition de façon naturelle les outils dont l’enseignant avait besoin
  • Simplifier la prise en main du TBI en ne proposant que 8 fonctions (celles qui sont au bord de la roue)

Le grand atout de cette roue, la raison de son succès, a été sa simplicité. A l’époque (1), les logiciels pour TBI étaient bien trop complexes. Typiquement, ils comprenaient des dizaines de fonctions, la plupart ignorées des utilisateurs finaux (les enseignants). Nous avons décidé que la roue ne fournirait que 8 fonctions, les 8 plus importantes mais qu’elles seraient toutes comprises, évidentes à utiliser. 

Cette roue est sortie début 2004 et chaque année, entre 2003 à 2015, nous nous sommes réunis avec Luidia en Californie pour la faire évoluer (à la plus grande satisfaction des restos de pizzas de la Silicon Valley, qui, je pense, attendaient avec une grande impatience ce moment béni où, sans regarder à la dépense – tout passait évidemment en notes de frais -, nous engloutissions moult pizzas et bières en faisant plus ou moins semblant de travailler pour une bonne cause).  Une contrainte permanente, sorte d’épée de Damoclès logicielle, pesait sur nous nous : il nous était impossible, par construction, par design, de fournir plus de 8 fonctions à travers la roue. Toute proposition d’évolution devait être importante puisqu’elle éliminait automatiquement une fonction existante ! Et je pense que ceci a aussi été clé dans le succès du Scrapbook eBeam: il n’est jamais devenu un sac de noeuds, il est toujours resté très simple d’emploi.

J’ai beaucoup admiré Luidia pour ça au début de nos relations. Nous concevons des produits, des logiciels – je peux vous dire qu’il est extrêmement difficile à une équipe de développeurs de résister à la demande des clients, relayée en interne par les commerciaux, même pour de bonnes raisons. Pour faire un excellent produit, il faut parfois savoir ne pas écouter et rares sont les sociétés qui y arrivent.

Pour être tout à fait franc, je dois dire qu’après 2015 qu’il y a eu une autre raison pour laquelle Luidia appliquait cette politique de simplicité, c’est qu’elle était la plus économique – ou que les développeurs étaient devenus un peu fainéants. A partir de 2014, le déclin du TBI, dont j’ai déjà donné les raisons dans ce blog, s’est fait sentir – et le TBI mobile a aussi commencé à décliner rapidement partout dans le monde, à l’exception notable de la France où le déclin a été beaucoup plus lent :  il s’en vend toujours quelques milliers d’exemplaires chaque année. 

Luidia avait été conçue, comme beaucoup de boîtes américaines, avec une grande “ambition”, terme qui cache souvent la mégalomanie et les équipes n’étaient absolument pas préparées à un succès normal, modéré. Lorsqu’il est devenu patent que le TBI mobile n’allait pas suivre le chemin de l’Iphone, les équipes se sont partiellement désagrégées, moralement et physiquement.

“C’est un gadget !”

Un autre souvenir sur le TBI mobile: la première fois que nous l’avons présenté à l’expert en charge des choix numériques du Ministère de l’Education Nationale, nous étions très optimistes. Nous avions en main un outil différent de tout ce qui se faisait sur le marché, peu cher, très simple d’emploi, qui pouvait être partagé entre les enseignants et donc réduire les coûts d’équipement. L’expert a rapidement décrété que cet outil était un gadget, que le logiciel était bien trop réduit pour être utile et qu’aucun enseignant n’en voudrait jamais. Un ou deux ans plus tard, il était au service d’une marque de TBI qu’il avait évidemment bien “notée” lors de son passage au Ministère. Le temps a passé, “all is said and done”, mais c’est à cette occasion que j’ai compris le fléau que représentait le pantouflage pour l’Education Nationale. Je dois être un des seuls patrons qui lutte contre la porosité privé / public – l’intérêt général n’a rien à y gagner, à de rares exceptions près.

L’autre raison qui rend ce produit exceptionnel a mes yeux a été sa longévité. Sorti en 2003, il n’a pratiquement pas été modifié en 16 ans et pourtant il rend toujours les mêmes services et il n’est en rien dépassé. Il est stoppé pour des raisons de coût de production, mais que ce soit au niveau design ou au niveau technique, nous aurions sans doute pu le commercialiser pendant encore une bonne dizaine d’années (en fait, jusqu’à ce que les vidéoprojecteurs disparaissent, ce qui ne prendra peut être pas 10 ans). Dans le numérique, cette longévité est tout à fait exceptionnelle, unique et ce petit eBeam Projection, rustique mais élégant, léger mais fiable (garanti 7 ans !), simple mais utile,  ne peut être comparé qu’à la Coccinelle ou à la deux-chevaux.

C’est avec émotion qu’après l’avoir enfoui dans une résine transparente, je le conserverai pour l’éternité dans mon bureau.

Fun & vintage

Pour le fun, je vous présente ci-dessous quelques ressources éternelles conçues autour de l’eBeam.

Nos voeux 2008 (vidéo), qui montrent que le ridicule ne tue pas (ce qu’on regrette parfois). Notre vidéo produit de l’époque, qui montre qu’on a bien fait d’embaucher Antoni et Solène
La première version du logiciel Speechi intégrant l’eBeam Projection qui montre que la mécanique quantique a parfois des résultats encore plus inattendus que prévu. Cette présentation nous a permis d’obtenir le prix Demo 2004 aux US, récompense exceptionnelle pour une entreprise française. Les annotations de la vidéo sont réalisées avec l’eBeam. Le logiciel Speechi a été enterré en 2017.

(1) En me relisant, je me dis que ce “A l’époque” est sans doute de trop car c’est toujours le cas. Les logiciels pour TBI et écran interactif restent, dans leur immense majorité, trop compliqués.

 

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