La larme à l’oeil – hommage à Ettore Scola

Au cinéma ou à la télé, il y a une loi quasi-infaillible qui dit ceci : plus les larmes sont filmées directement, en gros plan – symboles d’un déluge sentimental au sens propre du terme, plus l’émission est mauvaise, au sens artistique du terme.

J’ai vu pour la première fois le très beau film d’Ettore Scola, “Nous nous sommes tant aimés”, quand j’avais 15 ou 20 ans et je l’ai tout de suite adoré (un peu comme si je savais déjà ce qui m’arriverait à 40 – comme le dit un des héros du film « Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés. »).

Il contient en particulier une scène extraordinaire de larmes. Deux anciens amoureux, qui ne se sont pas vus depuis des années, se rencontrent par hasard dans Rome. Ils sont ravis de se revoir et la soirée débute dans une sorte de gaieté nostalgique – les meilleurs moments de leur vie, ils les ont vécus ensemble et ils le savent. A un moment, la femme rentre dans un photomaton en riant. Pour une raison dont je ne me souviens plus (peut-être s’allume-t-il juste une cigarette), son ami s’éloigne quelques secondes. Quand il revient vers le photomaton, la femme a disparu – on saura ensuite que c’est pour toujours. Il attend quelques minutes et les photos sortent. Sur première photo, elle rit aux éclats (elle vient de rentrer dans la cabine et est encore en train de plaisanter avec son ami), puis, au fur et à mesure que les photos sont prises, on voit son visage se décomposer – elle est en larmes sur la dernière photo.

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On ne voit jamais la femme pleurer – on découvre juste les photos qui tombent du photomaton au rythme où son compagnon les découvre lui-même. On ne l’entend pas pleurer non plus. La scène ne contient pas la moindre parole, mais tout est dit.

Evidemment, il y a la Chiale Academy où tout est fait pour nous faire partager, en direct, de façon la plus explicite possible tous les états d’âme des condamnés (qui en outre pleurent de plus en plus au fur et à mesure des saisons). Dans Star Academy (et autres Lofts…), les micros sont mis au niveau maximum et les larmes sont filmées du plus près possible – s’ils pouvaient nous asperger en direct, ils le feraient, ça c’est sûr.

A l’inverse, prenez un dessin animé comme Bambi. A la mort de la mère de Bambi, Disney est excessivement sobre. La paysage est à la fois tragique (il neige violemment) et féérique (la musique, la neige rappellent Noël). En un plan unique, qui évoque les films de John Ford, Bambi et son père (le père est magnifiquement mis en valeur, ce qui est en plus très satisfaisant pour mon ego) disparaissent alors qu’on entend une chanson qui annonce le printemps. Une larme, une seule larme de Bambi, nous est montrée. Rien n’est dit non plus et le résultat est beaucoup plus beau (beaucoup plus fort aussi – les enfants ne s’y trompent pas) qui si l’on voyait Bambi pleurer abondamment. Les adultes qui n’avaient pas revu Bambi depuis leur enfance (suivez mon regard…) sont aussi souvent en larmes quand ils revoient cette scène.

Prenez aussi cette scène d’Hitchcock (dans Rebecca, je crois) où l’actrice regarde par la fenêtre. Dehors, il pleut et Hitchcock filme à travers la fenêtre, ce qui fait que les reflets des larmes se confondent sur la vitre avec les gouttes de pluie (donc là aussi, comme dans Scola, les larmes ne sont pas filmées de façon directe). C’est très beau aussi, mais un peu froid par-rapport à Disney et Scola. L’effet sur le spectateur, la catharsis, est plus faible: on est moins ému et plus admiratif. Comme souvent Hitchcock intellectualise beaucoup les choses et on est presque dans l’exercice de style.

Cher lecteur, qui croyais t’être abonné à un blog de veille technologique, je t’ai infligé depuis quelques jours plusieurs articles / pamphlets polémiques sur la situation politique de l’école, et voilà que je persiste dans mes errements en t’infligeant un article dont la clarté toute relative se rapproche malheureusement des cahiers du cinéma de la pire époque. J’espère que tu voudras bien m’en excuser et je te rassure: les prochains articles ne seront pas consacrés à une thèse sur la larme au cinéma de 1912 à nos jours.

Dès jeudi, retour aux technologies numériques.

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