Un cloud très fumeux

Bruno Devauchelle, dans son blog “Veille et Analyse TICE” prétend que le cloud est la nouvelle plaie du numérique. Les raisons avancées à l’appui de cette thèse sont que :

Argument 1: l’absence de transparence économique.

“le cloud, c’est le premium… tant que le nombre d’abonnés est important l’accroche reste valable et dès que le nombre baisse, on restaure les marges…Quant au gratuit, [] c’est encore plus pervers que les deux précédents”

Argument 2: le questionnement psychique

“la modification de la matérialité de ces objets dont on ne perçoit que « le bout du nez » est un questionnement psychique et perceptif fort qui petit à petit interroge les représentations mentales d’abord, puis les représentations sociales”

(Sic !) Je ne vais pas commenter cet argument, qu’à ma grande honte je n’ai pas totalement compris !

Argument 3: le cloud, une sorte de théorie du complot anti-sociale

“c’est une sorte de plan pour développer l’Illectronisme et la dépendance aux techniciens, à leurs produits et à leur business, qui touche la société et, comme d’habitude, les plus démunis.”

Le cloud ne change pas l’équation économique fondamentale du logiciel

Nous développons en cloud depuis plusieurs années maintenant et nous revendons aussi des logiciels tiers (clouds et non clouds). Je voudrais apporter dans ce débat qui semble si compliqué quelques idées simples.

Sur le plan économique, l’équation du développeur de logiciel est toujours la même, cloud ou pas cloud. Il faut que le nombre d’utilisateurs multiplié par le prix d’une licence dépasse le coût de développement: U x P > D.

Cette inégalité est difficile à obtenir, cloud ou pas cloud, car il faut le plus souvent des mois, parfois des années, avant qu’un logiciel devienne vendable. Mais le cloud ne change en rien la logique économique de l’éditeur de logiciels: freemium, publicité, licences, abonnement… Ceci existe depuis qu’on vend des logiciels…

C’est la politique de l’éditeur qui définit l’ouverture des données, pas la technologie qu’il emploie pour développer.

Pour ce qui est de la théorie du complot (en gros, le cloud créateur d’inégalité et d’imbécillité parce qu’il ne permet pas l’accès aux données), non seulement cet argument n’est pas sérieux mais il est faux. En règle générale, le cloud, agrégeant les données de beaucoup d’utilisateurs, crée plus de données utilisables qu’un programme installé sur une machine.

C’est évident avec notre logiciel d’évaluation “Je Lève La Main”, où nous allons très bientôt fournir une interface qui permettra aux enseignants d’interpréter ces données d’évaluation et d’en tirer des enseignements impossibles à obtenir avec un logiciel d’évaluation “installé en classe” sous forme de boîtiers de vote.

Seul le cloud est utilisable dans les écoles. Les logiciels classiques sont beaucoup trop compliqués.

Mais surtout, l’article de Bruno Devauchelle passe à côté du véritable et incontestable avantage du cloud pour les écoles, aujourd’hui. Il leur rend le logiciel accessible en permanence et supprime le besoin d’ingénieur ou de technicien système (qu’elles n’ont pas dans l’école). Aujourd’hui, il est compliqué pour une école d’installer un logiciel, de backuper des données.

Une installation qui fonctionne à un moment donné peut cesser de fonctionner le lendemain (mise à jour de Windows, conflit avec une autre installation). Le cloud, dans une très large mesure, supprime ces problèmes comme il supprime la plupart des causes de pertes de données.

Le cloud permet aussi de mettre à jour le logiciel “sur le serveur” (c’est à dire dans un environnement unique, que contrôle et maîtrise le développeur de logiciel). Il évite d’avoir à gérer des centaines de configuration “côté client”, ce qui retarde le rythme des développements et les rend moins fiables.

Quelques chiffres tirés de notre activité:

– 85% des dépannages que nous effectuons au support sont liés, de façon ultime, à des problèmes de configuration machines tels que ceux décrits ci-dessus. Nous n’y pouvons rien et notre client non plus. C’est très frustrant en tant que professionnel et en tant qu’utilisateur.

– depuis 5 ans, 65% du coût de développement de Speechi (notre premier logiciel qui n’est donc pas “cloud”) sont des adaptations pour tenir compte des évolutions de Windows et PowerPoint (ces développements n’apportent donc aucune nouvelle fonctionnalité au client). Une telle situation est aussi très frustrante pour l’éditeur de logiciels (qui n’innove plus) comme pour ses clients (qui ne comprennent pas pourquoi ils paient des mises à jour). Sur le long terme, elle peut devenir intenable.

– Sur un de nos logiciels clouds, nous avons eu il y a un an un “gros crash” (perte de disponibilité longue et perte de données pour certains gros clients). (Le cloud a ce défaut : les couacs sont tout de suite très visibles !). Mais même en comptant ce couac, les temps passés sur des dépannages et sur les restaurations liés aux configurations “cloud” représentent moins de 1% du support technique sur 5 ans. Et surtout, dans le cloud, le couac nous fait tellement peur que nous prenons un maximum de précautions – le crash de l’année dernière ne peut se reproduire tel quel, nous apprenons en permanence, ce que le professeur, qui installe un fois par an un logiciel sur sa machine, ne peut pas faire et ne veut pas faire.

Il a raison d’ailleurs, ce n’est pas son métier.

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