Nagea Va-Allo en Pateaugie (pourquoi, plus on cherche à réduire les inégalités, plus on les augmente)

Piscine Un peu pleineEn Pateaugie, c’est la Natation qui crée les élites. A 20 ans, toute la jeunesse du pays passe des épreuves de natation. Les meilleurs nageurs sont sélectionnés (les 1% les plus rapides deviendront les futurs hauts-fonctionnaires et les dirigeants des plus grandes entreprises du pays).

La Pateaugie truste les meilleures places aux J-Eau en natation. Le processus de sélection est démocratique. La Pateaugie s’enorgueillit en effet, à juste titre, d’avoir mis en place un système d’entrainement extrêmement performant, pour tous les enfants, dès l’âge de 4 ans. Les meilleurs nageurs sont encouragés, ceux qui sont moins doués sont poussés et peuvent suivre des cours de natation supplémentaires. Peu importe l’origine s-eau-ciale des enfants. Même ceux dont les parents ne sont pas de bons nageurs accèderont aux meilleurs postes s’ils sont performants au court de leur sc-eau-larité. L’unique objectif du système est la performance.

En 1970, un chercheur, Bourdieu, lui-même assez bon nageur mais cependant pas dénué de ressentiment, prouve indubitablement, à partir d’études statistiques réalisées dans le milieu du patinage artistique, que l’ensemble du système est biaisé et ne fait que justifier la reproduction sociale des élites. Il montre qu’il est statistiquement impossible que le frère et la sœur d’une même famille (les fameux Manaudou) se retrouvent tous deux médaillés olympiques de natation – en effet, la probabilité du phénomène est de l’ordre du milliardième.

Les statistiques de Bourdieu se confirment dans tous les sports. Le fils de Yannick Noah est champion de basket, les deux fils de Zidane sont membres de l’Equipe de France de foot ainsi que le fils de Lilian Thuram (pourtant un champion de l’Egalité), le père de Youri Djorkaeff était lui-même membre de l’équipe de France de foot, etc… Bourdieu en déduit, tout naturellement, que les arbitres et les maîtres-nageurs sont biaisés et que tout le processus de sélection par la natation n’a pour simple objet que de reproduire la structure des élites. Bon sang, mais c’est bien sûr : le côté soi-disant démocratique du processus de sélection n’était qu’un leurre.

Différentes mesures sont prises pour rétablir l’égalité. C’est la réforme dite de la Piscine Unique. Comme les maîtres-nageurs sont évidemment les acteurs inconscients de cet inacceptable processus de reproduction sociale, on les empêche d’abord de chronométrer les élèves. Les élèves devront aussi s’entraîner ensemble, quel que soit leur niveau et on réduit les distances à l’entrainement, car plusieurs études montrent que l’entrainement est profondément inégalitaire. A partir de là, on constate que le niveau (c’est le cas de le dire) baisse. La Pateaugie gagne de moins en moins de médailles aux J-Eau, c’est embêtant, c’est inexplicable ! 25% des élèves, à 20 ans, ne savent toujours pas nager l’épreuve du 1000 m, ce qui n’arrivait jamais avant la réforme de la Piscine Unique.

Pire, il semble que la réforme ait augmenté les inégalités (c’est ballot). Et en effet, les parents bons nageurs, déçus par l’enseignement public de la natation ont réagi. Certains ont mis leurs enfants dans des piscines privées, où la réforme n’est pas appliquée à l’identique. D’autres ont appris eux-mêmes à nager à leurs enfants. Certes, le niveau des meilleurs a aussi baissé, mais moins que le niveau moyen – donc les écarts se sont accrus.

C’est inacceptable ! Il est temps de réagir ! En 2015, la Ministre de la Natation Non Synchronisée, (Nagea Va-Allo, une des grandes intellectuelles de son temps, puisqu’elle a lu Bourdieu) prend les mesures suivantes intitulées « Natation pour tous » pour rendre plus égalitaire le système sc-eau-laire:

  • Les cours d’éducation physique et d’athlétisme (qui étaient optionnels) sont supprimés parce qu’il apparaît clairement que ceux qui en profitent le plus sont ceux dont les parents sont de bons nageurs
  • L’horaire d’enseignement de la brasse papillon (jugée trop élitiste) est réduit. Elle est remplacée par l’étude interdisciplinaire de la bière brassée et de la reproduction des papillons.
  • La hauteur de l’eau dans les piscines est réduite à 1 m. En effet, la hauteur de l’eau antérieure (2 m) avantage clairement les bons nageurs, c’est-à-dire ceux dont les parents étaient de bons nageurs. Cette mesure est spécialement intelligente car, sauvant de l’eau, elle introduit le cours sur la transition écologique. Qui plus est, elle fait réaliser d’importantes économies au Ministère de la Natation (comme la vie est bien faite).
  • L’épreuve reine (le 1000 m) sera elle aussi nagée dans une piscine dont la profondeur est de 1 m. Ainsi, 100% des nageurs réussiront cette épreuve, qui permet d’obtenir le tout nouveau « Bac RD » (Réussite Démocratique).
  • Des tablettes numériques étanches seront distribuées à tous les élèves pour qu’ils puissent apprendre les gestes parfaits du bord des piscines.
    Un réseau social nageo-éducatif est créé. Les élèves peuvent y publier les pires plongeons de leurs camarades de piscine (en veillant cependant à ne pas stigmatiser ceux-ci). Ainsi, plus personne ne s’ennuie au bord de la piscine.
  • Tous ceux qui protestent contre les mesures ci-dessus seront traités de « nageurs du dimanche » (injure suprême en Pateaugie).

En 2030, en Pateaugie, que peut-on prédire ?

  • les élèves ne sauront plus nager
  • 100% des élèves auront le bac « RD », qui valide la compétence suivante, décrétée fondamentale par la Ministre de la Natation : savoir nager 1000 m dans 1 m d’eau.
  • Les seuls élèves éduqués, capables de nager l’épreuve ancienne du 1000 m, sont ceux dont les parents se seront occupés
  • Les inégalités sociales seront à leur plus haut niveau
  • Si un gouvernement essaie, un jour, de remettre la brasse papillon à l’honneur, ce ne sera plus possible : tous les maîtres-nageurs spécialistes de cette nage auront disparu.

Et comment la Pateaugie sélectionnera-t-elle ses élites en 2030 ? Comme il n’y aura plus de performance scolaire, ce sera par le Piston uniquement.

Ca, en Pateaugie, on a toujours su parfaitement faire.

[Ce texte traduit uniquement mon opinion personnelle, qui n’est ni la position officielle de Speechi, ni a fortiori, celle de ses employés.]

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