Réforme du collège: de NVB à Orwell

Ce qui m’a décidé à écrire à propos de la Reforme du Collège, c’est le paradoxe suivant.

1)  Je souscris pour l’essentiel aux déclarations d’intention de la Ministre, qui a justifié sa réforme par les valeurs, de façon constante, dans tous les media (télévision, radio, presse écrite) avec, la plupart du temps,  un grand talent oral.

La grande majorité des français souscrivent aussi à ces valeurs, issues de la révolution et de Jules Ferry (pour faire court). Par exemple, qui va s’opposer à des déclarations telles que :

[Il faut] « permettre à tous les élèves de progresser dans l’apprentissage des matières fondamentales, y compris les meilleurs, en élevant le niveau d’ensemble. Ma conviction, c’est que l’égalité n’est pas l’ennemie de l’excellence, elle est la condition pour que chacun puisse y accéder. » [1]

ou « Le collège est le maillon faible de notre système éducatif. Au moment où le sentiment d’appartenance à la République constitue un enjeu décisif pour la cohésion sociale, un tel renoncement à la promesse républicaine d’égalité par l’éducation est insupportable. »

2) Surpris par la vigueur de l’opposition à cette réforme, j’ai décidé d’aller voir les textes par moi-même en commençant par les projets concernant le latin et le grec, qui ont cristallisé les débats depuis une quinzaine de jours.

Le leitmotiv de la Ministre est que

« La réforme du collège permettra à tous les élèves d’accéder aux langues et cultures de l’antiquité, contre seulement 20% des élèves aujourd’hui [2].  Je vous confirme qu’il y aura le même nombre d’heures qu’aujourd’hui, avec des heures pour l’étude de la culture et de la civilisation et des heures pour l’étude de la langue. Donc les élèves n’y perdent rien [3].  »

C’est bien simple, « “Si j’avais entendu qu’il s’agissait de supprimer le latin, de réduire la place de l’allemand, je serais contre”[4]

Qui ne souscrirait à un tel projet ?

La réalité tirée des textes est la suivante :

L’enseignement du latin disparait. Il est remplacé par un « EPI » (enseignement pratique interdisciplinaire). Le temps consacré aux EPI est pris sur le temps des matières principales (et non pas rajouté au temps d’enseignement). Les élèves qui feront du latin le feront donc à la place du français ou de l’histoire. Le professeur de latin devra obtenir de ses collègues cet aménagement (sachant que le temps consacré au français diminue déjà avec la réforme). Bref, les enfants qui feront du latin devront renoncer à leur programme au profit d’une autre matière principale jugée « plus importante ». Quels parents vont faire ce choix ?

–  Les élèves y perdront. L’EPI mis en place (s’il est mis en place) ne concernerait qu’une heure par semaine (contre actuellement 2 heures en 5ème, 3 heures en 4ème et 3ème). De fait, il ne s’agirait plus de latin mais plus d’un enseignement de complément aux mythes[5].

–  De toutes les façons, ni la Ministre ni personne n’a aucune idée de ce que pourra être le contenu des programmes latin-grec. Leur mort a bien été prévue à tel point que ni dans les projets de programme de la réforme, ni dans le nouveau socle commun des connaissances, la moindre  ligne n’est consacrée aux programmes de langue ancienne.

–   Un « enseignement de complément électif » est prévu dans le projet. Ce n’est ni plus ni moins qu’une option (cette option dont le principe « non égalitaire » a pourtant été si décrié par NVB) ! Mais le quantum de cette option, même si on l’ajoute aux EPI, est inférieur d’au moins 1/3 à l’ancienne option latin-grec et l’option elle-même sera en concurrence avec d’autres options (donc cette option ne pourra proposée à tous, à la différence de l’option actuelle latin-grec, ouverte à tous). Là encore il n’y a pas le compte.

–  Pour rassurer « certains acteurs qui avaient encore des inquiétudes » (sic !), la Ministre a donc saisi le 13 mai le conseil des programmes pour « préciser » (bel euphémisme puisqu’il n’y  avait rien !) le contenu des EPI et des enseignements de complément « dédiés à une étude plus approfondie de la langue et des textes ». Peut-on faire plus vague et moins engageant ? Quel décalage entre les déclarations médiatiques et la réalité des textes !

Les conclusions sont sans appel. La présentation faite par la Ministre n’est pas sincère. Aucun citoyen n’a pu, en écoutant Najat Vallaud-Belkacem, se faire, par exemple, une idée (même imprécise, même un peu enjolivée) du contenu de la réforme concernant le latin et le grec. Pire, les déclarations de Najat Vallaud-Belkacem sur la réforme sont à l’opposé du projet de réforme lui-même[6]. Ce décalage assumé, répété maintes fois dans tous les média, avec charme, conviction et talent, a un côté presque comique. Je vous assure, j’ai du relire les textes plusieurs fois pour m’en convaincre. Comme Winston, le héros de 1984, je n’en croyais pas mes yeux !

Cette communication orwellienne est renforcée, si j’ose dire, par l’anathème (Orwell parle de la  “minute de la haine”) jeté sur les opposants à la réforme, immédiatement catalogués par NVB comme « des opposants rétrogrades à l’égalité ». Les élèves qui choisissent l’option latin-grec seraient les « sachants »[7] dont les parents auraient les « codes » nécessaires pour favoriser la réussite scolaire et reproduire leur position sociale. La preuve ? ces élèves constituent bien « les 20% qui réussissent » ![8]

La réalité est sans doute tout autre. Les « bons » élèves ont naturellement plus de temps et de facilité pour suivre une option facultative de quelques heures par semaine. Les enseignants la proposent plus naturellement à ces élèves (ne pas le faire serait les brimer, les limiter). Le latin n’est pas, n’a jamais été, un « truc » qui permettra de réussir de façon magique sa scolarité ou d’intégrer telle ou telle grande école [9]

Dans aucun autre pays que la France il n’y a autant d’élèves qui choisissent une option aussi « inutile », qui ne les aidera pas à gagner des points pour tel ou tel concours, qui ne leur sera d’aucune utilité professionnelle pratique. La conscience que parfois, la formation de l’enfant prime sur l’utilité, le long terme sur l’immédiat, la beauté sur l’efficacité, la source de première main sur la copie, c’est ce qui fait que notre enseignement reste unique et que nous pouvons – encore –  en être fiers.

Dans 1984, les différents ministères ont un nom opposé à leur destination réelle. Le ministère de la Guerre est devenu le ministère de la Paix (MiniPax), le ministère de la Justice est devenu celui de l’Amour (MiniLov). Souhaitons que le Ministère de l’Education Nationale ne se transforme pas en IgnoMini (Ministère de l’Ignorance Nationale).

[Après ces considérations orwelliennes, une parenthèse schizophrène: ce texte traduit uniquement mon opinion personnelle, qui n’est ni la position officielle de Speechi, ni a fortiori, celle de ses employés.]
 


[4] « Le Grand Rendez-vous », 07 mai 2015

[5] La Ministre a plusieurs fois exprimé le point de vue selon lequel l’enseignement du latin devait être « autre chose que la simple étude des déclinaisons ». Certes, mais les enseignants n’ont pas attendu NVM pour enseigner cet autre chose (d’ailleurs explicitement prévu aux programmes !). L’enseignement du latin peut-il se limiter à un vernis culturel (« tout SAUF les déclinaisons » ?), j’en doute.

[6] J’emploie le terme « non-sincérité » pour ne pas employer celui de mensonge.

[7] Terme employé par Jean-Marie Le Guen (Le Grand Rendez-vous). Les termes employés frisent la théorie du complot.

[8] Sources non citées par la Ministre, comme trop souvent, mais ce qui est impliqué par ses propos, c’est que cette « réussite » s’effectue au détriment des autres, puisqu’il faut absolument « casser » cet état de fait. Il n’y a plus de bons élèves, il n’y a que des élèves favorisés. Cette position est simplement crétine.

[9] A part peut-être Normale Sup, les grandes écoles n’ont pas de concours dans cette matière)

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