Les déshérités de François-Xavier Bellamy : fiche de lecture

Les déshéritésCe livre sur l’école est à lire surtout pour sa première moitié et même en fait pour le dernier tiers de cette première moitié, qui ne fait pas plus de vingt pages. Mais ces vingt pages ont à mon sens un grand intérêt : elles constituent le résumé le plus clair des idées de Bourdieu sur l’éducation qu’il m’ait jamais été donné de lire. L’influence de Bourdieu sur l’école d’aujourd’hui étant inversement proportionnelle à son lectorat réel, il est très important de lire ce résumé. J’insiste sur le fait que, bien que l’auteur apparaisse évidemment dans la seconde partie de son livre comme un opposant à Bourdieu, sa présentation initiale n’est en rien partiale et c’est justement ce qui la rend si intéressante.

Les chapitres concernant Descartes et Rousseau sont aussi extrêmement intéressants et brillants, mais ils le sont avant tout en tant que tels, pour la qualité intrinsèque et l’originalité de l’exposé plus que pour l’importance de ces auteurs vis-à-vis de l’école (car Bellamy surestime largement leur influence dans la structuration de l’école d’aujourd’hui).

L’influence de Descartes existe évidemment, mais de façon indirecte. Descartes a tellement influencé les sciences en créant la fameuse méthode scientifique que tous les enseignements scientifiques (et un grand nombre d’enseignements dits littéraires ou sociaux) en ont été impactés. Mais Descartes n’annonce pas, comme l’auteur l’affirme, la déconstruction de l’école. Il affirme simplement la toute-puissance de la Raison face à tous les a priori et la nécessité de développer l’esprit critique pour progresser dans toute vérité.

L’influence de Rousseau sur l’école est pour moi encore plus limitée, voire inexistante. Certes, l’auteur retrouve dans l’Emile, de façon extrêmement brillante, un grand nombre des traits de l’éducation dite “moderne”. Mais le chemin qui mène à cet « enfant-roi » n’est pas passé par Rousseau, il est passé plutôt par Dolto (mal comprise) et par Bourdieu. Si Rousseau avait dû influencer l’école, il l’aurait fait bien avant les années 70. Il aurait influencé l’école dès Jules Ferry (or cette école est à l’exact opposé de ses thèses). Personne ne défend plus les thèses de l’Emile (si tant est qu’elles aient jamais été défendues), l’Education Nationale ne les connaît d’ailleurs pas et les enseigne encore moins.

La deuxième moitié du livre qui constitue la proposition de l’auteur pour l’école (celle qui tente aussi de contredire Bourdieu) est nettement moins originale et intéressante. Non pas que les idées présentées soient fausses, non pas que la forme de la présentation, le style soient mauvais (bien au contraire), mais le contenu est somme toute trop banal, sans originalité.

L’auteur y tente aussi une réfutation des idées de Bourdieu basée sur les conséquences éducatives de l’application de ces idées dans l’école française depuis 30 ans (ces conséquences sont évidemment gravement néfastes) ainsi que sur diverses considérations empiriques basées sur “le bon sens”. Mais, en toute rigueur, on ne peut réfuter une théorie politique, religieuse ou sociale en étudiant ses conséquences à un moment donné (ou alors, on va par exemple condamner le christianisme pour toujours parce qu’il y a eu l’Inquisition, ou, encore plus drôle, le socialisme parce qu’il y eu Hollande). On ne peut pas non plus simplement invoquer “le bon sens” pour réfuter une théorie dont justement la force de conviction réside dans le fait qu’elle tente de prouver que “le bon sens” est, au fond, une illusion qui nous masque la réalité des rapports sociaux.

La réfutation de Bourdieu basée sur l’analyse précise des failles logiques du raisonnement ou sur la faiblesse de beaucoup de ses hypothèses reste à mener (va-t-y falloir que je m’y attelle ?). Au fond, je dirai que François-Xavier Bellamy est un grand professeur et qu’il excelle dans l’exposé des idées des autres (la première moitié du livre). Mais il a un côté trop “bon élève” quand il s’agit de réfuter les “grands maîtres” (son respect immense pour Bourdieu, en dépit de son opposition fondamentale, le freine évidemment pour mener une vraie attaque sur l’édifice théorique échafaudé par Bourdieu).

Pur produit de la méritocratie française, normalien, François-Xavier Bellamy illustre bien, en un sens, les théories de Descartes et de Rousseau qu’il présente dans ses deux premiers chapitres, comme si le savoir qu’il a emmagasiné, et l’excellence dont il fait preuve  dans l’exposition du savoir “des autres”, dans la première partie, se faisaient au dépens d’une certaine originalité qui consiste à savoir penser et créer “par soi-même” (la deuxième partie).

(Et, toujours paradoxalement, François-Xavier Bellamy est aussi une illustration des théories de Bourdieu: bien que le système social échafaudé par Bourdieu soit de nature, au sens Bourdieusien même du terme, arbitraire, il lui accorde, à son corps défendant, une valeur intrinsèque immense et probablement largement imméritée. Peut-être faudrait-il mener une psychanalyse de ce livre, que par ailleurs je vous conseille vraiment de lire).

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