L’éducation numérique, c’est aussi une question de lobbying.

Mes amis canadiens me font parvenir via Twitter différents liens qui nous montrent que l’équipement des écoles canadiennes en tableaux numériques a été rien moins que (hum !) désintéressé (voir aussi “Une ombre au tableau blanc“).

Les mêmes techniques sont évidemment employées en France. Ainsi, le rapport Fourgous, en 2010, n’est pour moi qu’une oeuvre de complaisance évidemment inspirée par un lobbying industriel (Voir mon billet les TICE au pays des merveilles). Et on a vu parfois l’Education Nationale être plus royaliste que le roi en matière de propriété intellectuelle (voir le cas de la TNWii, qui profite de la confusion et un avis d’avocat, en 2008).

Evidemment, les mauvais choix en matière d’éducation numérique ont des conséquences moins graves que celles du Mediator. Mais les phénomènes de lobbying à l’oeuvre en matière d’éducation sont strictement de même nature que dans le secteur pharmaceutique. Deux activités d’intérêt général (la pharmacie, l’éducation) où les achats sont largement conduits par la puissance publique (le ministère de la santé, l’Education Nationale et les collectivités locales). Les mêmes techniques d’influence sont utilisées par les industriels :

  • des études pseudo-scientifiques réalisées par les industriels du secteur et gobées par la Collectivité (voir par exemple “Les tableaux interactifs sont-ils utiles à l’enseignement“).
  • des liens d’intérêt incestueux entre des fonctionnaires “décideurs” ou “influenceurs” et les industriels (mon avocat préféré m’interdisant d’écrire sur ce sujet, je vous laisse analyser les organigrammes des principales grandes sociétés, la plupart d’ailleurs anglo-saxonnes, qui agissent sur le marché de l’éducation numérique en France).
  • des rapports présentés comme des analyses d’intérêt public, qui sont en fait une simple compilation des intérêts des industriels (cf le rapport Fourgous cité plus haut).

Le phénomène est renforcé en France par l’incapacité maladive de la puissance publique à se critiquer elle-même. J’ai proposé à différentes instances officielles de mener des évaluations des politiques mises en oeuvre (en matière d’éducation numérique, il ne devrait d’ailleurs pas y avoir d’investissement sans définition préalable des critères d’évaluation de cet investissement).

Il semble que toute tentative d’évaluation soit vécue non pas comme une proposition d’amélioration des politiques mais avant tout comme une critique sournoise visant à déstabiliser le responsable de l’investissement. Quand ce n’est pas, car les amalgames sont faits très rapidement, une accusation de vouloir déstabiliser l’ensemble de la politique scolaire au prétexte que “c’est trop tard pour revenir en arrière !”, voire même, plus c’est gros, plus ça passe, de vouloir s’en prendre à “la liberté pédagogique des enseignants” (je n’invente rien, cette objection m’a été opposée il y a quelques mois) !

C’est comme ça que dans les Landes, après 12 ans et 52 millions d’euros dépensés, Henri Emmanuelli admet benoîtement “avoir quelques difficultés à annoncer des résultats dans leur globalité” ! (Moyennant quoi, le Conseil Général des Landes “souhaite poursuivre sa mission d’équipement dans l’intérêt des collégiens” !).

C’est comme ça qu’on construit, en France, des lignes Maginot numériques encore plus inutiles que l’originale, car en l’espèce, il n’y a même pas d’ennemi identifié contre lequel nous devons nous protéger, si ce n’est bien sûr la Bêtise : l’éducation numérique en France n’est pas seulement un désert, c’est le désert des tartares.

(1) commentaires pour "L’éducation numérique, c’est aussi une question de lobbying."

  1. bonjour,

    Pour chance, les Landes permettent à chaque collège d’avoir son assistant d’éducation, chargé de ces différentes tâches. Personnel de l’éducation nationale, il est pourtant rémunéré indirectement par le Conseil Général des Landes, dans environ les ¾ des collèges.

    Je trouve déplorable que l’on se targue d’avoir mis en place des assistants d’éducations pour assurer la maintenance matérielle et le cadre pédagogie/technologie.
    Ses postes requièrent généralement des compétences techniques (système, réseau, multimédia) et pédagogiques avancées mais les contrats sont précaires et les rémunérations ras les pâquerettes.
    Ceci attire du personnel non qualifié en auto-formation permanente qui, une fois au point, va trouver une place plus intéressante. Le turn-over entretien un malaise au sein des enseignants déjà frileux sur ces outils et en demande constante d’assistance.

    Je parle en connaissance de cause pour avoir eu ce type de poste pendant deux ans. Nous n’avions heureusement pas de cartable portable mais un équipement numérique très poussé :
    école pilote en ZEP de 700 élèves => 20 TBI, 150 PC pour la pédagogie, 2 classes mobiles MAC et un AE à mi-temps pour gérer tout ça (+ matériel multimédia + assistance utilisateurs, + parc administratif géré par le CRIA -> 3 semaines de délais d’intervention etc etc …).

    Les financements sont faciles à trouver pour l’achat de matériel mais la compétence humaine est complétement occultée.
    Il serait à mon avis important de comprendre que le numérique ne dispense pas de l’humain bien au contraire et que du personnel qualifié dans chaque établissement n’est pas un luxe.

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