Erreur de casting rue de Grenelle

Au regard de l’ambition affichée, qui était rappelons-le de “Refonder l’école”, on est frappé par la timidité des réformes tentées par Vincent Peillon et par leur faible degré d’avancement, après deux ans d’exercice.

Tout ça pour ça !

Quoi qu’on pense du bien-fondé de la réforme des rythmes scolaires, d’autant plus engluée au lendemain des élections que les municipalités sont passées à droite, il est évident qu’elle ne pouvait avoir qu’un impact tout à fait marginal sur la performance de l’école – il s’agissait au mieux d’un simple retour à une situation récente. Comment est-il possible que cette réforme bénigne ait été mise en œuvre avec si peu de conviction et qu’elle ait pu se retrouver étalée sur (au moins) trois années – le Ministre échouant même à la faire adopter immédiatement et massivement par les mairies de gauche ?

Il est tout à fait justifié, au regard de la manière dont les différentes réformes ont été menées, que Vincent Peillon s’en aille. Allait-on devoir longtemps avancer à ce rythme avec, peut être, l’année prochaine, la perspective du changement des roues de secours des bus de ramassage scolaire et dans deux ans, le rajout de la préhistoire au programme d’histoire en CE2 – si les lobbies ne criaient pas trop fort ? Il ne reste guère que Maryline Baumard, journaliste chargée de l’éducation au Monde, qui a tenu lieu depuis 2 ans de porte-parole officieux du Ministre pour parler de “travail colossal accompli“: sur le plan de l’organisation des réformes. Sur le choix des priorités, Benoit Hamon ne pourra pas faire pire.

L’ancien Ministre de l’Education et le Président ont invoqué régulièrement, souvent avec grandiloquence, les mânes de Jules Ferry mais il ne suffit malheureusement pas, comme disait l’Autre, de sauter sur sa chaise comme un cabri en criant « Jules Ferry , Jules Ferry ! » pour réformer l’école.

Jules Ferry, dont je rappelle qu’il n’a été Ministre de l’Instruction que deux ans, s’est heurté à des résistances immenses dans les campagnes. Les intérêts économiques auxquels il s’attaquait dans la France rurale de l’époque étaient nettement plus importants que ceux des industriels du tourisme dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. L’obligation d’instruction dans les années 1880 a dû être poussée à marche forcée.

Certes, le pouvoir de l’Etat s’est réduit mais plutôt que de se lamenter, on peut aussi se souvenir avec profit qu’entre ses deux postes à l’Education Nationale, Jules Ferry a été Président du Conseil et que les réformes ont donc été imposées du plus haut sommet de l’Etat.

Pour réformer l’école, aujourd’hui comme hier, l’impulsion ne peut venir que du Président, s’engageant régulièrement en ce sens devant les français et ne déléguant au Ministre que les déclinaisons opérationnelles de sa politique, ce qui constitue déjà un beau défi, ou, à défaut, d’un Premier Ministre qui serait aussi Ministre de l’Education Nationale.

Benoît Hamon, numéro 4 ou 5 d’un gouvernement dont la priorité affichée n’est pas l’éducation mais le chômage et la compétitivité, n’aura pas le pouvoir, quelles que soient ses qualités (dont rien par ailleurs ne prouve qu’elles soient immenses) d’améliorer durablement l’école. Il ne pourra pas en changer ni le principe, ni les rouages (mais ce serait déjà une belle performance que d’y mettre un peu d’huile.

Jules Ferry ou l’innovation au pouvoir

Si l’on veut vraiment rendre hommage à Jules Ferry, il faut se rappeler à quel point sa politique était risquée, innovante et radicale.

L’idée même de l’intérêt économique d’une éducation publique obligatoire n’était pas du tout évidente à l’époque. Il n’était pas prouvé que le pays bénéficierait, à moyen terme, des dépenses et des sacrifices qu’il s’imposait. L’objectif premier de l’école était bien de former des citoyens libres au sens du premier article de la déclaration des droits de l’homme, le rôle de l’Etat étant de mettre en œuvre les moyens nécessaires à l’obtention de l’égalité.

Pour améliorer l’école, encore faut-il y croire et non pas vouloir la déconstruire. Or l’esprit des réformes de Vincent Peillon – et sa croyance profonde, c’est que l’école n’est qu’un instrument de reproduction des classes sociales et que ce mécanisme de reproduction du capital culturel, que Bourdieu appelle “héritage” doit être cassé, fût-ce au détriment du niveau scolaire lui-même qui reposerait, selon Bourdieu, sur des critères arbitraires. A partir de là, tout ce qui conduit à l’excellence scolaire (la sélection, les classes préparatoires, les diplômes, le travail à la maison…) est suspect. La réussite scolaire ne vient pas du mérite. L’échec scolaire est le problème de l’école et non pas de l’élève.

Ferdinand Buisson, l’inventeur de la laïcité, que Vincent Peillon a mal lu bien qu’il lui ait consacré un livre, avait une vision de l’école totalement opposée.

“L’école, c’est le grand instrument de sélection de la société, le plus infaillible moyen connu de faire surgir le mérite, de le mettre en valeur pour le plus grand bien de la société toutes les ressources qu’elle recèle et que parfois elle ignorerait si l’école n’était là pour les révéler”.

L’école à l’ère du numérique

Jules Ferry a réinventé l’école à l’heure de la révolution industrielle et le système scolaire qui en résulte est centré sur les besoins d’une économie de production. A la fin du XIXé siècle, l’école crée des corps d’ingénieurs et d’ouvriers spécialisés performants pour l’industrie : les ressources nécessaires pour faire de la France une grande nation industrielle. Elle est elle-même organisée – taylorisée – par Jules Ferry comme une gigantesque usine.

Innover aujourd’hui, ce n’est de toutes les façons pas recopier avec timidité ce qu’a fait Jules Ferry il y a 130 ans.

L’école ne peut plus être pensée selon une logique industrielle mais numérique.

Les faiblesses de la France en matière numérique sont identifiées depuis plus de 30 ans : on s’entête à tenter d’en enseigner les usages plutôt que d’enseigner la matière elle-même. En ceci, la vision de Vincent Peillon a été la même que celle de ses prédécesseurs (et de son successeur) : classique, donc consternante.

Les investissements visant à faire utiliser les technologies numériques par les élèves se multiplient (tableaux interactifs, classes numériques) mais, avant le baccalauréat, les formations leur permettant de comprendre comment ces technologies sont développées sont presque absentes– je parle de cours de programmation, de génie logiciel, d’algorithmie et d’architecture des ordinateurs, bref, de tout ce que les anglo-saxons recouvrent sous l’appellation “Computer Science”.

Berners Lee, inventeur de l’Internet, pense avec raison qu’

« il est urgent de réduire le décalage entre les usages de l’informatique et la connaissance de l’informatique en tant que science et ce, dès les plus petites classes ».

De tels enseignements, sans doute dès la classe de 6ème, sont devenus indispensables pour comprendre le monde qui nous entoure. Ils font partie de la culture générale que devrait avoir tout bachelier qui se destine à faire des études supérieures (avec – et non pas contre – le latin, la philosophie, les mathématiques…).

Il ne s’agit pas de créer une génération d’informaticiens, pas plus qu’il ne s’agissait de créer une génération de latinistes ou de mathématiciens. Simplement de créer des citoyens cultivés dans ce domaine, capables de comprendre et, pour les meilleurs, de créer les outils de demain.

La programmation n’est plus un simple savoir faire technique. La capacité à développer des programmes, comme la lecture ou l’écriture, est essentielle pour contribuer à la société d’aujourd’hui, qui résulte de la révolution numérique.

« Un quart de la planète est connecté au Web, seuls ceux qui savent programmer peuvent agir »

, écrit encore Berners Lee.

L’enjeu, citoyen et industriel, de l’école numérique est comparable à celui de l’école pour tous de Jules Ferry.

Plutôt que Benoît Hamon, c’est Fleur Pellerin que j’aurais souhaité voir au Ministère de l’Education Nationale.

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