Pulp Fiction: trois rédemptions et un châtiment

Violence et humour cachent le fait que Pulp Fiction est une mise en scène quasiment didactique des thèses de René Girard sur la violence, la grâce et la rédemption. Le film est constitué de trois histoires presqu’indépendantes – le deuxième titre du film qui apparaît dans le générique est "Three stories about One story".

– Première histoire : Elle commence par une liquidation violente de trois petits malfrats par deux tueurs (Vincent Vega, joué par John Travolta et son collègue Jules) et se termine par un braquage dans une caféteria.

– Deuxième histoire: C’est le récit de la soirée passée entre Vincent Vega et Mia, la femme de Marsellus, patron de Vincent.

– Troisième histoire : Butch, le boxeur (Bruce Willis), arnaque Marsellus – un truand violent. En tentant d’échapper aux griffes de Marsellus, Butch tue Vincent Vega. Marsellus et Butch se retrouvent prisonniers d’une bande de sado-masochistes, dont ils finiront par se libérer, grâce à Butch.

La structure du film est cyclique. Les trois histoires sont présentées de façon intercalée. Le film commence par le braquage de la cafétaria et se termine par cette même scène – filmée deux fois, donc, mais pas à l’identique: les dialogues des personnages diffèrent entre le début et la fin du film, ce qui a son intérêt mais ne constitue pas le sujet de ce billet.


Les personnages principaux sont des truands ou des délinquants. S’ils ont leur propres lois, leurs propres règles qui codifient leur comportement, le meurtre du prochain ne constitue en aucun cas un interdit. La violence est présente partout et on tue de façon habituelle, dans Pulp Fiction, parfois même par mégarde, avec beaucoup d’humour, comme lorsque Vincent Vega tue le dernier malfrat dans sa voiture.

Mais, au-delà des multiples surprises que réservent le scénario, la mise en scène, les dialogues, le thème central de Pulp Fiction est bien la rédemption. Les quatre personnages masculins principaux (Vincent, Jules, Marsellus – les truands et Butch, le boxeur) ont tous leur propre chance de rédemption dans le film. La grâce leur est accessible. Ceux qui la saisissent survivent; ceux-qui la négligent sont condamnés et meurent.

Jules, un des tueurs, assassine depuis toujours ses victimes en citant Ezechiel (soi disant Ezechiel 25:17, mais la référence est fausse), en toute bonne conscience. Dans une logique chrétienne, on pourrait dire qu’on peut lui pardonner “parce qu’il ne sait pas ce qu’il fait”.

"Blessed is he who, in the name of charity and good will, shepherds the weak through the valley of the darkness. For he is truly his brother’s keeper and the finder of lost children. And I will strike down upon thee with great vengeance and furious anger those who attempt to poison and destroy my brothers. And you will know I am the Lord when I lay my vengeance upon you." – puis, il tire sur sa victime.

Mais lors du massacre des petits malfrats (chronologiquement, la première scène du film), il échappe à plusieurs balles tirées à bout portant "par miracle": le terme est à prendre au sens propre car c’est le début de sa "conversion". Ce qui sauve Jules, c’est qu’il reconnaît et admet le miracle. Il retourne alors sa citation à son détriment. Il comprend qu’il est lui-même le persécuteur et qu’il a suivi, en termes girardiens, "La route antique des hommes pervers". Il vit une révélation structurellement comparable à celle de Paul.

"I been sayin’ that shit for years. And if you ever heard it, it meant your ass. I never really questioned what it meant. … Now I’m thinkin’: it could mean you’re the evil man. And I’m the righteous man. And Mr. 9mm here, he’s the shepherd protecting my righteous ass in the valley of darkness. Or it could be you’re the righteous man and I’m the shepherd and it’s the world that’s evil and selfish. I’d like that. But that shit ain’t the truth. The truth is you’re the weak. And I’m the tyranny of evil men. But I’m tryin’, Ringo. I’m tryin’ real hard to be a shepherd."

Butch, le boxeur, arnaque Marcellus, le truand. Son arnaque est la cause de la mort au combat d’un autre boxeur, ce dont il se fiche éperdument et alors que Marcellus veut le tuer, il sauve Marcellus des griffes de ses assassins sado-masochistes – ce qui va contre ses intérêts immédiats. Après tout, s’il ne sauve pas Marcellus, il est lui-même hors de danger. Marcellus lui laisse alors la vie sauve – lui aussi a saisi sa chance et va donc vivre.

Le seul qui va mourir, tué par Butch, c’est finalement Vincent Vega (John Travolta). Lui aussi a eu sa chance (il a été sauvé par miracle comme Jules); il a vu, mais n’a pas cru. Vincent Vega, du début à la fin du film, est totalement inaccessible à toute compassion. Même lorsqu’il sauve Mia d’une overdose (il la "ressuscite" au sens littéral du terme en la frappant au coeur – lourd symbole), il ne pense en fait qu’à se protéger vis-à-vis de Marcellus.

Le film abonde de signes, parfois d’ailleurs très lourds, qui vont dans le sens de ma thèse.

– Concernant la réalité du "miracle", les traces des balles dans le mur sont présentes avant que les coups de feu ne soient données, comme si réellement leur trajectoire était déterminée par une influence surnaturelle

– Il y a une autre conversion probable, à savoir celle des braqueurs de cafetaria, que Jules épargne – la scène se situe après sa propre conversion – et à qui il laisse le résultat de leur larcin (structurellement, la scène est une réplique de celle des candélabres que l’évêque de Digne donne à Jean Valjean)

– Butch est le héros le moins mauvais – donc le plus facile à sauver du film. Une scène, lourde et drôle à la fois, nous conte l’histoire de sa montre en or (Gold Watch), seul souvenir qui lui reste de son père mort au combat. Cette montre oubliée, qui est une sorte de lien humain, il retourne la chercher dans son appartement à ses risques et périls – l’appartement est occupé par des tueurs – et c’est le début de l’enchaînement qui va le sauver (Watch : la montre, mais aussi, le Gardien).

– Pulp Fiction, dès le titre, est bien une affaire religieuse. Pulp Fiction signifie en gros "roman de gare sanglant" , mais Pulpit, c’est aussi la Chaire. (Pulpit oratory, éloquence de chaire) [1].

– les références au désir mimétique, aux doubles abondent dans le film, en particulier dans l’épisode Vincent Vega-Mia, où John Travolta et Uma Thurmann dînent dans un restaurant dont les serveurs sont des sosies de célébrité – John Travolta est lui-même la copie bedonnante du danseur qu’il était dans la Fièvre du Samedi Soir.

Ce qu’il faut donc retenir de Pulp Fiction, c’est que l’histoire principale est volontairement emmêlée et sa signification volontairement dissimulée. L’histoire fonctionne parfaitement à deux niveaux: le spectateur moyen le prend comme un roman policier assez violent, assez drôle. Le spectateur intello décèle sa structure profonde, bâtie d’après une multitude de références girardiennes, ce qui en fait un film au fond assez lourd – mais heureusement, il y a l’humour, toujours l’humour.

 

 

 

[1] A rapprocher du titre “Inglourious basterds”, qui est une sorte de Pulp Fiction “inversé” : Pas de rédemption et un massacre collectif. “Inglorious” en anglais signifie “honteux, lamentable” mais a aussi une signification religieuse et tous les protagonistes (nazis, résistants et y compris la victime juive Shosanna jouée par Mélanie Laurent) sont incapables de pardon et vivent donc, au sens chrétien du terme, en dehors de toute Gloire. Autre billet à venir sur ce film.

(3) commentaires pour "Pulp Fiction: trois rédemptions et un châtiment"

  1. Je suis plus ou moins d’accord avec cette “thèse”, mais…
    “Le spectateur intello décèle sa structure profonde, bâtie d’après une multitude de références girardiennes, ce qui en fait un film au fond assez lourd”
    Pitié quoi. Tout ce qui a été fait ici c’est tourner autour de l’idée de trois rédemptions et un châtiment, et le comprendre ne requiert pas un niveau intellectuel extrêmement élevé, en outre, les trois quarts de l’article ne sont que paraphrase du scenario, pour moi, ça c’est une farce d’affirmer implicitement à la fin que cet article se veut d’un degré supérieur d’interprétation intelligible ; et puis faut quand même aller assez loin dans la sur-interprétation pour en venir à parler de désir mimétique hein.

  2. Ce film comme la plupart des oeuvres de Tarantino est signé par un psychopathe qui en 1953 n’aurait jamais dépassé le stade d’éclairagiste. Toute son oeuvre se résume à une espèce de farce de gamin de treize ans qui aurait été dessinée en marge d’un cahier de texte. Le seul truc c’est que la société qui produit cela a le même âge mental, et qu’elle se rue en masse sur cet imaginaire débile. Film plébiscité par tous les débiles de la terre. Ce que Lénine n’a pas pu faire, la vulgarité américaine le réussit tous les jours

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