Soigner le Mediator par le Capital Altruiste

C’est l’intérêt de tous (entreprises, monde politique) de nous faire croire que l’affaire du Mediator est exceptionnelle, une “aberration monstrueuse” du système.

Pourtant, c’est une affaire on ne peut plus banale, qui résulte tout simplement de l’augmentation massive du budget “lobbying” des entreprises depuis une quarantaine d’années, en Europe comme aux Etats-Unis.

(Le lobbying, forme de publicité qui touche les acteurs politiques et institutionnels, a augmenté de façon parallèle à la publicité classique, qui touche l’ensemble des citoyens).

Bob Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton, décrit de l’intérieur du sérail comment le lobbying, non seulement pèse sur les décisions des acteurs politiques (ou assimilés) mais aussi diffère la résolution des problèmes les plus importants, en surchargeant les agendas des législateurs et des commissions, de telle façon que ces problèmes ne soient au final jamais examinés – exactement ce qui s’est passé dans le cas du Mediator.

Toutes les industries sont touchées à commencer par, évidemment, les industries qui dépendent des états (l’énergie, la santé, l’éducation…).

Les conflits d’intérêts (au sens large, conscients ou inconscients), ne sont pas le résultat d’entreprises diaboliques (il y en a), de politiques corrompus (il y en a), de scientifiques incompétents (il y en a) mais résultent simplement de l’addition de ces deux facteurs: l’augmentation des dépenses de lobbying et la liberté d’entreprendre.

Quelles que soient les mesures législatives qui seront prises “à la va-vite” et au cas par cas, l’économie moderne ne peut qu’engendrer de plus en plus de conflits menant à de nouveaux “Mediator”.

L’extra-ordinaire, c’est qu’un médecin inconnu ait pu, par son intelligence et son énergie, arriver à actionner les leviers pour que le scandale soit mis en évidence.

On croit que le laboratoire Servier, c’est le mal, l’exception, alors que c’est tout le contraire: l’exception, c’est le docteur Frachon. La règle, c’est le lobbying.

Dans un domaine qui me touche, l’éducation, le rapport Fourgous sur l’école numérique est un exemple évident d’intégration d’intérêts privés dans un rapport qui se présente comme d’intérêt public. (Et comme au Ministère de la Santé, les liens et passerelles entre le MEN et les acteurs privés du secteur sont nombreux). Le décalage entre les objectifs et les résultats du Grenelle de l’environnement est aussi dû au lobbying des entreprises.]

Limiter l’impact du lobbying: le rôle du Capital Altruiste.

Deux types de méthodes sont envisageables pour tenter de limiter l’impact du lobbying.

La première, à laquelle je ne crois pas du tout, ce sont les mesures coercitives (plafonner les dépenses des entreprises, restreindre ou interdire certaines formes de lobbying,…).

Penser que ces mesures peuvent être efficaces, c’est ne pas prendre en compte l’incroyable souplesse et la créativité des entreprises pour faire valoir leurs intérêts. Limitez les dépenses de communication et les entreprises les appelleront publicitaires, organiseront des voyages d’études, etc..

Voyez comment, dans le cas d’une seule industrie, il a été difficile de limiter la publicité sur le tabac ou l’alcool (cela a pris 30 ans). Voyez comment il a été impossible, depuis 30 ans, de limiter les dépenses de communication du secteur pharmaceutique. Seule une dictature pourrait imposer des mesures réellement efficaces en ce domaine à l’ensemble des entreprises – et il est probable qu’une dictature, ayant d’autres chats à fouetter, ne prendrait jamais ce genre de mesures d’intérêt public !

Alors, comme il est impossible de forcer les entreprises à limiter leurs dépenses, on peut penser qu’il est possible de mettre “en face” de ces dépenses suffisamment de moyens pour que le lobbying s’exerce de façon “contradictoire”.

Dans le cas du Mediator, le problème n’est pas tant que le laboratoire tente d’influencer les décisions, mais du fait que personne, aucune organisation d’intérêt général, n’ait de moyens suffisants pour peser “en sens contraire”.

Avec des sommes d’argent pas si élevées – sans doute de l’ordre de 10% de celles investies par le laboratoire, il était facile de critiquer les études partiales, relever les conflits d’intérêt, empêcher le désastre. Ce qu’une personne a réussi à faire, grâce à une combativité exceptionnelle, il était possible de l’empêcher dès le départ, non pas en légiférant, mais en créant les conditions pour qu’un lobbying d’intérêt général puisse s’établir “en retour”.

Le lobbying vise à la suppression du contradictoire, qui, depuis Athènes, constitue l’essence même de la démocratie.

Laissez faire le lobbying, sans contrepartie, et vous obtenez la fin de la démocratie (ce qui est en train de se passer en Amérique). Interdisez le lobbying et vous tuez la liberté.


Ouvrir et non pas restreindre le champ du lobbying.

Un des objectifs du Capital Altruiste est de permettre aux organisations d’intérêt général de devenir actionnaires d’entreprises, et donc d’obtenir des moyens d’influence indexés sur les moyens des entreprises.

En injectant des sommes importantes dans les organisations d’intérêt général, le Capital Altruiste peut leur permettre de faire leur propre lobbying (vers le législateur et les acteurs institutionnels).

Il s’agit en quelque sorte de combattre le mal par le mal. Créer un lobbying “d’intérêt général” tout simplement pour que le débat contradictoire ne soit plus occulté.

On résout le déficit démocratique non pas en restreignant le lobbying, mais en l’ouvrant à tous.

ONG, associations, citoyens: vous pèserez sur le cours du monde en utilisant la même tactique que les entreprises, non pas en essayant d’interdire aux entreprises de les mener.

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