Wikileaks et l’argument du recel de vol (1)

Lorsqu’Eric Besson, piqué par une mouche dont on peine à retrouver l’origine, a recherché des arguments de droit pour interdire d’urgence l’hébergement du site Wikileaks en France, il lui est vite apparu qu’à première vue, de tels arguments n’existaient pas. En effet, pour que l’hébergeur (1) puisse suspendre un site, il faut soit une décision judiciaire, soit que le contenu du site soit “manifestement” illicite.

Le terme “manifeste” fait en général référence à des contenus tels que la pédophilie, la contrefaçon de marques notoires ou autres… Sauf preuve du contraire, le contenu du site Wikileaks n’est pas manifestement illicite: Wikileaks n’est qu’une sorte de Canard Enchainé géant et planétaire – en beaucoup moins drôle.

Non seulement le contenu n’est pas manifestement illicite, mais il n’est sans doute même pas illicite – sinon il appartiendrait à l’Etat de saisir la Justice pour obtenir une décision de suspension – ce qui n’a pas été fait. (A ce jour, le gouvernement américain n’a semble-t-il pas encore porté plainte publiquement contre OVH, ce qui laisse peu de chances qu’un juge français soit saisi).

Cherchant une position de repli, Besson a alors invoqué l’argument de “recel de vol”. Cet argument a été repris par Fillon et Sarkozy et semble destiner à pouvoir impliquer pénalement l’hébergeur ou OVH.

En effet, la responsabilité d’un receleur est supposée acquise dès lors qu’il détient l’objet du vol en connaissance de cause – pas besoin d’aller rechercher une participation “manifeste” ou une confirmation de sa participation au vol. Cet argument, qui semble habile, est une acrobatie judiciaire – pas un site en France n’a jamais été interdit de publication sur ce fondement depuis qu’Internet existe.

La presse a indiqué la faiblesse de la position du gouvernement et l’impossibilité juridique de mettre en cause hébergeur sur le fondement du caractère illicite du contenu. Mais l’argument “recel de vol” semble avoir été plus ou moins gobé par tous.

Pourtant, cet argument reste totalement inopérant quant à la publication des données. Ce n’est pas parce qu’une information a été mal acquise (fait qui peut être répréhensible) que sa publication n’est pas autorisée. Selon cet argument, l’hébergeur pourrait être condamné pour recel sans que la publication des données soit elle-même interdite !

De plus, il ne peut y avoir recel que si on détient l’objet du vol. Or OVH, sauf preuve du contraire, ne détient que des données qui ont été copiées plusieurs fois, de serveur à serveur et qui ne sont donc pas des données originales. Si la Joconde est volée et qu’on découvre chez vous une photocopie du tableau, vous ne pouvez pas être impliqué de recel.

Enfin, à ce jour, le délit initial n’est pas caractérisé. Le gouvernement américain n’a pas fait connaître les faits reprochés à Wikileaks et si Wikileaks a été suspendu aux USA, c’est à la suite de pressions, non de décisions judiciaires. A ce jour, l’hébergeur est dans l’impossibilité de dire si les informations divulguées sont ou non le produit d’un délit – or la notion de recel exige la détention “en connaissance de cause” – elle exige la mauvaise foi.

(1) OVH n’est d’ailleurs pas, à strictement parler, hébergeur du site. Mais ce point est secondaire.

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