10 points pour passer de 3 000 à 100 000 TBI en France

Je reviens sur mon interview dans Vousnousils sur les TBI, où Raphael m’a titillé sur notre position par-rapport à la politique du ministère.

D’abord, plusieurs constatations:

1) Le Ministère n’a que des moyens d’actions très limités.

Seule une petite cellule s’intéresse aux TBI (à ma connaissance, une seule personne ou deux à temps complet, qui ne peuvent pas tout faire).

2) Sa politique, depuis 2 ans, a été de sensibiliser, ce qui fait qu’on est passé de 0 à 3000 TBI (chiffres donnés oralement par le Ministère). C’est un succès relatif, mais qui nous place loin, très loin, derrière les pays développés comme le Royaume-Uni (340 000 TBI) ou les USA et loin derrière certains pays comme le Mexique aussi.

Cette politique de sensibilisation et d’incitation a maintenant ses limites car:


3) il y a incitation économique, mais elle est souvent détournée

Le budget de Primtice a été de 1,4 millions d’euros en année 1, et le Ministère annonce que 400 à 500 équipements complets ont été achetés, ce qui met la configuration moyenne à 3 000 €… En fait, quand on interroge les décideurs locaux, on constate qu’une partie du budget a été “détournée” vers des vidéo-projecteurs dont l’achat n’a pas été couplé à des TBI ou même parfois d’autres matériels…C’est dommage car le but d’une politique de sensibilisation est d’utiliser au maximum des effets de levier pour démultiplier l’investissement, non pas pour le réduire.

4) Le Ministère travaille aujourd’hui avec 5 fournisseurs (situation d’oligopole), ce qui est un facteur de glaciation du marché.

C’est un des points qui nous a le plus gêné car nous ne faisons que représenter, en France, une société américaine, Luidia, qui elle nous représente à l’étranger. Pour participer aux opérations organisées par le Ministère dans le cadre de PrimTice, le ministère nous a demandé de donner pour les écoles 10 tableaux blancs et 10 vidéoprojecteurs. En tant que distributeurs, cette politique ne nous était pas accessible pour 2 raisons:

a) trop coûteuse. Nous achetons le matériel que nous “donnons”, contrairement aux autres fournisseurs de TBI qui travaillent en direct.

b) disproportionnée. Nous vendons des configurations peu chères (typiquement autour de 700 €) alors que nos concurrents vendent des configurations plutôt entre 2 000 et 3 000 €. Nous aurions eu besoin de 3 à 4 fois plus de ventes qu’eux pour amortir l’investissement en vidéoprojecteurs…

Elle présente de plus à mes yeux de “citoyen” plusieurs autres inconvénients:

a) mélange des genres. Le Ministère se retrouve en fait à faire la promotion des 5 acteurs, on (c’est à dire les acheteurs) ne sait jamais très bien si c’est parce qu’ils sont “bons” (ce qui est parfois le cas) ou parce qu’ils ont “donné”. Je suis peut-être vieux jeu mais je pense que l’Education Nationale n’a pas à vendre son influence contre un plat de lentilles.

b) rigidité. Elle favorise la création d’un petit oligopole, au détriment, à mon sens, de l’extension du marché.

c) faible intérêt pour le Ministère. Au total, 50 équipements ont été donnés. Une goutte d’eau quand on compare ça au seuil à atteindre, qui est de plusieurs dizaines de milliers de TBI.

Il se peut qu’une telle politique se soit imposée en année 1, pour vraiment “lancer” l’opération et justifier l’obtention d’un premier budget, mais à mon sens le renouvellement automatique des critères en année 2 et 3 est clairemement un facteur de glaciation oligopolistique du marché. Cela nuit aux utilisateurs, qui n’ont pas la visibilité sur toute l’offre, aux fournisseurs ne participant pas à l’opération comme nous, mais aussi aux founisseurs qui sont dans l’opération, même s’ils ne s’en rendent pas forcément compte.

Mais quand on regarde le marché annuel du TBI en France, on se rend bien compte que le marché, vu de façon globale, est extrêmement déficitaire pour les constructeurs, et particulièrement pour les plus importants qui y mettent des moyens financiers et humains considérables. La situation n’est pas saine. Ceci ne se passe pas, encore une fois, aux USA, au Royaume-Uni, en Allemagne.

5) Les pouvoirs d’investissement sont dans les régions, pas au Ministère. Le plan PRIMTICE ne peut pas combler le retard français.

Au niveau actuel et avec la stratégie actuelle, il faudrait 300 ans de PRIMTICE pour atteindre le taux d’équipement en TBI du Royaume-Uni. Autrement dit, il faut changer les moyens ou la stratégie – et plus probablement les deux.

La réalité, c’est que les pouvoirs d’investissement sont aujourd’hui dans les régions, qui achètent les matériels et pas au Ministère. Il est illusoire de penser que le taux d’équipement peut augmenter de façon significative en France simplement avec le plan PRIMTICE. L’argent dépensé par le Ministère doit avoir un effet multiplicateur, incitateur, alors qu’aujourd’hui il y a au contraire déperdition des moyens (voir le point 4).

6) structure du marché. L’effet “cyclône”.

Le marché des TBI, comme la plupart des marchés high-tech, est un marché de seuil. A partir d’un certain moment, il s’emballe tout seul les acteurs s’imitant les uns les autres. La difficulté est d’atteindre ce seuil (si on regarde les courbes par-rapport à ce qui s’est passé en Grande-Bretagne, il se situe autour de 20 000 à 50 000 TBI en France).

C’est ce qu’on appelle l’effet “tornade” ou “cyclône” d’après le livre fameux de Geoffrey Moore .

Je rappelle que les intérêts du TBI sont immenses pour l’enseignement, le premier d’entre eux, qu’on mentionne peu souvent, étant à mes yeux qu’il évite des équipements coûteux du type “salle informatique” nécessitant un PC par élève. Je n’ai pas vu d’étude globale sur le sujet, mais il me semble que le budget d’équipement informatique doit décroître là ou il existe des TBI. Je pense aussi qu’en classe, maintenant que la technologie TBI est au point, il est absurde de préconiser l’utilisation “simple” du vidéoprojecteur, qui engendre un comportement passif de l’élève – parfois du professeur !

7) un critère quantitatif d’évaluation de Primtice pour les 3 prochaines années.

L’efficacité de PrimTice doit être jugée à l’aune de l’investissement réellement généré dans les régions pour les équipements en TBI. Aujourd’hui, il est probablement de 0,8 à 0,9 (déperdition). Il faudrait multiplier ce facteur par au moins 10. 1 € investi par l’état dans PRIMTICE doit générer 10 € investis en équipement. Il ne faut plus voir Primtice comme un opération de sensibilisation – toutes les personnes sensées, ce qui exclura toujours 20% à 30% des populations concernées – sont convaincues de l’utilité des TBI. Il faut y voir une opération de généralisation: PRIMTICE doit devenir un investissement de marketing puissant, destiné à faire investir les régions.

(On m’objectera que les budgets de Primtice ne sont pas là pour faire du marketing. C’est vrai. Mais ce n’est pas ma faute si, l’Etat ayant perdu son pouvoir et les régions n’ayant pas encore la compétence pour avancer, l’Etat est réduit à faire du marketing).

Voici quelques propositions:

8) Investir une partie significative de PrimTice pour former les régions

Les conseils régionaux, les municipalités deviennent maintenant les principaux donneurs d’ordre de TBI. Il s’agit d’aller les former, les convaincre “par tous moyens” de l’intérêt du produit. Il faut aussi se servir de l’émulation enre les régions et leur montrer l’intérêt économique par-rapport aux investissements classiques de style “salle informatique”.

8) Inciter les éditeurs scolaires à intégrer les TBI dans leurs ouvrages d’ici 2 ans.

Quand je vois l’état de la littérature anglo-saxonne par-rapport à la littérature française sur le sujet, je comprends le retard… Les éditeurs scolaires devraient être incités, d’une façon ou d’une autre, à sortir des versions “TBI” de leurs travaux pratiques. Un signe fort du Ministère, mais peut-être ne faut-il pas rêver, serait la redéfinition de certains programmes incluant l’usage du TBI.

A noter que dans ce domaine, l’initiative du Ministère la plus réussie me semble être la base de données d’exercices pédagogiques mise à disposition des professeurs. Elle est de grande qualité. Problème: il faut pas mal de moyens pour le faire savoir et c’est à ça que doit servir l’argent de PRIMTICE.

9) Organiser des événements communs entre les éditeurs de TBI

Le saviez-vous ? Il règne un climat détestable entre les différents éditeurs. Nous-mêmes avons été victimes de dénigrement sur notre blog de la part d’un constructeur concurrent – affaire en cours. Sans parler des brochures piquées sur les salons, etc…

Et quand je vois certains de ces arguments repris texto sur le site de Pierre-Yves Cochain, qui est l’expert technique de PRIMTICE concernant les TBI, quand je constate qu’on “oublie” de nous inviter à des événements – pourtant ouverts à tous et payants, j’avoue que je suis un peu dégoûté et édifié quant à la façon dont certains doivent faire leur “lobbying”. J’ai pas mal roulé ma bosse et j’ai rarement vu ça, même dans le secteur logiciel aux US. A ce jour, nous avons identifié une seule société avec qui on peut parler de façon constructive: Calcomp. J’ai énoncé la raison plus haut: tout le monde pense qu’il faut verrouiller le marché sans se préoccuper de ce qui est le plus important, à savoir sa taille. La conséquence est que les éditeurs se dénigrent (assez) sauvagement et tout ça nuit à l’intérêt général.

Pourquoi pas un tour de France des TBI, co-organisé avec tous les éditeurs et le Ministère, pour aller prêcher la bonne parole aux régions ?

10) Définir une politique nationale audible

Aujourd’hui, la politique nationale du Ministère n’est pas audible. Il y a peu de demande de la part des professeurs parce que l’effet de seuil n’est pas atteint, et ceci quel que soit l’effort qu’y mette la cellule Primtice. Ca manque de moyens de communication, d’ampleur. Il me semble qu’un slogan du type “Un TBI, un vidéoprojecteur” serait, dans un premier temps, une bonne idée. Aucun établissement ne devrait plus acheter un vidéoprojecteur sans s’être posé la question du TBI, en tous cas.

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