Ne dîtes pas à ma mère que je fais des MOOC, elle croit que je fais de l’e-learning dans un bordel.

“Les MOOC sont un produit pourri. Et même l’acronyme MOOC est pourri”.

C’est en substance ce que déclare Sebastian Thrun dans l’édition de novembre de Fast Company. Vous avez pu lire des points de vue analogues (mais exprimés dans un langage bien sûr infiniment plus châtié) dans ce blog. Le point de vue de Sebastian Thrun est peut être plus crédible que le mien parce qu’en plus d’être un des plus grands scientifiques de l’informatique aujourd’hui, il se trouve qu’il est aussi l’inventeur des MOOC. Sa société, Udacity, est le leader du secteur (et accessoirement la société qui a réalisé la technologie qu’utilise France Université Numérique, la plate-forme MOOC mise en place par le Ministère de l’Enseignement Supérieur.

Que dit Sebastian Thrun sur le produit MOOC ?

D’abord, le taux d’échec aux cours est beaucoup trop fort (de l’ordre de 95%) – voir mon billet d’avril 2013 sur ce sujet. Avec un taux aussi fort, les MOOC ne peuvent même pas faire concurrence aux cours classiques par correspondance (dont le taux d’échec dans le supérieur est de l’ordre de 80% au pire). Udacity a tenté d’améliorer la forme des cours, l’interaction avec les élèves à travers différents outils (tutorat, forums, MOOC diplômants…) sans constater d’amélioration notable à ce niveau.

La principale conclusion que tire Sebastian Thrun de cette expérience est que les MOOC peuvent être bien adaptés pour un enseignement professionnel (formation continue en entreprise) mais ne sont pas une méthode performante généralisable en université dans l’enseignement supérieur. Par conséquent, Udacity va de plus en plus se focaliser sur une offre professionnelle payante destinée aux entreprises. C’est à dire qu’au final, les MOOC ne sont qu’une offre d’e-learning alternative (e-learning, qui, comme je l’ai écrit il y a déjà pas mal de temps dans ce blog, est mort). Le dessein – grandiose – de renouveler l’enseignement qui, comme le remarque de façon très juste Sebastian Thrun n’a pas réellement changé depuis plus de 1000 ans, était irréaliste.

La principale conclusion que j’en tire ? Les grands scientifiques tirent rapidement la leçon de leurs échecs – et c’est tout à leur honneur car l’état de l’art progresse autant par l’échec que par la réussite des différentes initiatives. Ce comportement contraste infiniment avec celui qu’on pourrait observer en France où la critique est vécue comme une agression, la reconnaissance de l’erreur comme une faiblesse. Vous pouvez parier que les pionniers des MOOC français vont maintenant les défendre corps et âme pendant des années alors que les meilleurs américains seront depuis longtemps ailleurs. Cet état d’esprit fige l’innovation et constitue une des raisons qui font que, en matière d’éducation numérique, les Etats-Unis progressent, et pas la France.

“La démocratie ne peut obtenir la vérité que de l’expérience […]. Le grand privilège des Américains n’est donc pas seulement d’être plus éclairés que d’autres, mais d’avoir la faculté de faire des fautes réparables.”

Tocqueville, De la Démocratie en Amérique.

Très bonne année à tous !

(2) commentaires pour "Ne dîtes pas à ma mère que je fais des MOOC, elle croit que je fais de l’e-learning dans un bordel."

  1. Merci Thierry de ce billet
    Ayant fait la démarche d’expérimenter un MOOC pour l’enseignement supérieur tout public, cela donne l’impression que c’est un produit d’appel. On fait large afin de donner envie aux plus mordus d’aller en présentiel suivre un cours plus personnalisé. Comme produit (c.a.d. service marchand), je pense que le MOOC pour l’enseignement supérieur aura du mal à bien se vendre. Par contre ciblé sur une problématique professionnelle dans une sphère privée, le MOOC peut être adapté, personnalisé à cette cible et donc être plus vendable.Mais il faudrait inventer un autre terme plus élégant car le concept n’est pas le même.
    Actuellement je réfléchis pour l’enseignement en Supérieur en Afrique, comment développer des cours et des exercices en présentiel sur quelques amphis disponibles ou en ligne pour étudiants internautes ou localisés dans d’autres Etablissements car la demande est forte, le public nombreux et les amphis peu nombreux. Comment faire des classes à taille humaine avec un accompagnement local et distant!
    Merci pour vos billets.

  2. Bonjour,

    Très bon article, et comme petit Belge je vous dirai un dicton de chez nous,

    On apprend le plus souvent uniquement par ses erreurs, mais c’est grâce à celle-ci qu’on grandit aussi !

    Très bonne année 2014

Laisser un commentaire sur le blog