Qu’y a-t-il de plus stupide qu’un pigeon ?

Le Monde

 

Merci au Monde d’avoir publié mon billet ci-dessous (édition du 5 octobre).

 


On voit fleurir un peu partout des tribunes écrites par des “pigeons” autoproclamés.

Les pigeons sont des entrepreneurs qui pleurnichent devant le nouveau projet de loi de finances pour 2013 en tapotant de façon hystérique sur la touche “vierge éplorée” de leur clavier.

Ils sont “incompris et vilipendés”, “marqués au fer rouge” alors qu’ils n’ont pas “l’argent comme moteur” et qu’ils travaillent “quand même 6 jours sur 7″ (Patrick Robin, Huffington Post). La France est évidemment un pays “anti-entrepreneurs” (Marc Simoncini, Les Echos). Certains ont l’esprit tellement ouvert et généreux qu’ils ont même voté à gauche, c’est dire ! (Pierre Chappaz, Au revoir les startups).

C’est donc uniquement pour faire œuvre de bien public qu’ils mettent à profit leur expertise économique (immense, forcément immense) pour avertir “le gouvernement de profs et de fonctionnaires ignorants qui sont au pouvoir” des multiples dangers présents dans la nouvelle loi fiscale. “Une loi de finances anti-startups“, proposée après un “débat superficiel voire démagogique”. Une loi qui va les conduire, eux qui sont pourtant si altruistes “à passer aux 35h pour toucher le chômage” (Marc Simoncini) ou – bien sûr – les contraindre à s’expatrier prochainement ce qu’ils auraient évidemment du faire depuis longtemps déjà si leur générosité légendaire ne les avait pas retenus contre toute logique tant il est vrai qu’en France, “rester, c’est déjà être un peu de gauche, non ?” (Patrick Robin, futur pigeon voyageur).

J’en passe et des meilleures, tellement le style, les termes, les expressions employés sont risibles et grandiloquents. Patrick Robin (”Moi, entrepreneur”) manie pour le pire, si c’est encore possible, le style anaphorique que notre nouveau Président a déjà bien lourdement remis à l’ordre du jour. Marc Simoncini nous parle d’enfer fiscal (comme quoi, l’enfer, c’est toujours les autres). Jean-David Chamboredon qui souhaite se la jouer plus “expert”, parle de “taux marginal confiscatoire, d’expropriation larvée” !

C’est donc par manque d’imagination, plus que par retenue, que le terme “racisme anti-entrepreneurs” n’a pas encore été employé. Mais cela ne saurait tarder.

Le point commun entre tous ces entrepreneurs, à part la lourdeur de leur style ? Ils sont tous (relativement) jeunes, riches et ont fait fortune rapidement dans la nouvelle économie en revendant leurs entreprises. Tout ceci n’est pas une tare mais la “création de valeur” qu’ils mettent en avant pour montrer leur expertise est toute spéculative et virtuelle. Fragile et légère comme une bulle, elle n’a eu, jusqu’à présent, aucun impact sur l’activité économique réelle.

Comme l’écrit Henri Verdier, “Il y a des gens qui souffrent plus que nous, dans ce pays comme ailleurs et je crois qu’il fait meilleur être entrepreneur en France que salarié d’Arcelor”.

Les pigeons ont fait mouche. Le problème est maintenant d’importance nationale puisqu’ils disposent de leur propre page Facebook et même d’un « hashtag » sur Twitter, où le roucoulement est massif. Surpris au départ, le gouvernement a pris les moutons par les cornes et Fleur Pellerin va, comme il se doit, « échanger avec les professionnels pour affiner le dispositif » (on ne saurait moins dire – Le Monde du 4/10).

Reste que la posture adoptée (dite “du pigeon”) n’est pas sérieuse. S’ils étaient réellement généreux, soucieux du bien public, tous ces entrepreneurs seraient relativement indifférents au fait d’être plus ou moins taxés.

Aucun d’entre eux n’est habilité à parler d’intérêt général, ils sont tous à la fois juge et partie. Leur avis sur la question est à peu près aussi intéressant que celui des buralistes sur le prix du tabac, des restaurateurs sur la TVA ou de Servier sur le Mediator. Ils ne peuvent être écoutés, quoi qu’ils en disent, comme des observateurs impartiaux.

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