Tous fraudeurs avec la SNCF

Au Commencement, la SNCF avait créé le train. Quand j’étais petit, avec mes parents, on montait et on partait. Souvent, on avait pris notre billet à l’avance mais parfois non (ou bien on n’avait pas réservé). Alors, on payait dans le train, quitte à voyager debout, ou assis par terre dans le couloir bondé les jours d’affluence. On arrivait fatigués, (et même pas toujours contents, mais c’est parce qu’on ne savait pas ce que la SNCF allait nous réserver dans les années à venir).

A cette époque bénie, on était en règle du moment qu’on payait son billet, au guichet ou directement au contrôleur.

Et la SNCF considéra que c’était mauvais. Alors, elle inventa le compostage. Arrêtez-vous d’abord 2 mn sur l’élégance du terme lui-même (à l’époque, le Marketing n’avait pas encore été inventé par la SNCF) qui réjouira son bureaucrate. Le compostage, c’était une première entrave à la liberté de monter dans le train, même quand on avait acheté son billet ! On vous demandait de vous arrêter quelques secondes devant une borne d’une symbolique couleur orange (qui réjouissait probablement aussi son bureaucrate). Si vous oubliez, on vous faisait payer un supplément. Si vous montiez dans le train sans composter, on vous faisait aussi payer un supplément (sauf si vous alliez, immédiatement après le départ du train, prêter allégeance au seigneur local, le Contrôleur).

C’était déjà assez bizarre, mais bien sûr je ne suis qu’usager et je ne peux pas tout comprendre. Vous compostez votre billet, mais le contrôleur est toujours là, à l’intérieur du train et vérifie juste que vous vous êtes bien comporté ! Aucun gain de productivité, aucune baisse du nombre de contrôleurs, juste une augmentation de la culpabilité de l’usager. D’ailleurs, le contrôleur s’est montré au fil des années de moins en moins coulant car visiblement il recevait des Instructions de plus en plus précises – second jour.

La SNCF dit: “Que les usagers voyagent assis sur des sièges confortables car voyager debout est indigne de l’Homme”. Et elle inventa la réservation obligatoire. Vous croyez que le TGV, c’est une merveille technique qui vous transporte à tombeau ouvert de Paris à Marseille ? Pas du tout ! La vraie trouvaille, c’est que le TGV, c’est le train où on peut vous interdire de monter si vous n’avez pas de réservation ! J’écris “on peut vous interdire de monter” car là aussi la transition s’est faite progressivement. Au début du TGV, on ne vous interdisait pas la montée mais on vous faisait payer le supplément d’usage, agrémenté du discours toujours plus moralisateur du plus en plus omnipotent contrôleur, que vous avez intérêt à écouter sans broncher car sinon il vous bannira du train d’Eden – troisième jour.

On commençe à se dire que la SNCF faisait vraiment beaucoup d’efforts pour qu’on ne rentre pas dans son train ! Mais c’est parce qu’on n’y comprenait vraiment rien, parce que le quatrième jour, la SNCF a importé le “Yield Management”. Le Yield Management, en gros, c’est la modulation du prix en fonction de l’état de la demande. Vous allez payer moins cher un billet si vous l’achetez deux mois à l’avance pour un train en période creuse que si vous l’achetez la veille pour un train rempli. En résumé, c’est l’application mathématique, en temps réel, de la loi de l’offre et de la demande.

Il est presque comique de voir que la SNCF prête une écoute si attentive aux techniques de gestion libérales anglo-saxonnes quand ça concerne ses usagers et pas ses employés. Ce qui a symbolisé cette étape pour l’usager, c’est le système informatique Socrates. Son installation fût un fiasco, mais progressivement, ce système nous a simplifié la vie puisqu’il nous évite la queue au guichet – quatrième jour.

La SNCF dit “le système général est bon, mais comporte encore des imperfections: il faut le rationaliser”. Alors, l’entrée dans le train sans billet ou avec un billet non composté est devenu un délit pénal et de multiples barrières physiques et psychologiques furent dressées devant les usagers.

Aujourd’hui, il existe des trains ou une armée de contrôleurs, placés sur le quai, vérifient l’état de votre billet avant que vous puissiez rentrer dans le train. Bien sûr, pour rester dans l’esprit, le contrôleur du train revérifiera votre billet à bord et vous entendrez quand même le fameux refrain “les passagers n’ayant pas composté leur billet sont invités à se présenter au contrôleur” – mais que ne le mettent-ils en musique, cette chanson a un taux d’écoute supérieur au leader du top 50.

Ces contrôleurs “terrestres”, si j’ose parler ainsi des fonctionnaires de la SNCF, vous fermeront définitivement l’accès au quai quelques minutes avant le départ du train à l’aide de barrières automatiques, ce qui vous aidera à arriver à l’avance, au moins la prochaine fois.

Bien sûr, sans billet, impossible de monter à la dernière minute dans le train (en fait, impossible est un peu fort, vous pouvez faire appel à un chef et tenter de négocier votre montée mais la dernière personne ayant réussi a enfermé son secret dans une bouteille jetée à la mer programmée pour s’autodétruire à l’ouverture).

Donc, vous pourrez aller sur une des toutes nouvelles bornes SOCRATES “départ imminent” – évidemment, au moment du départ du TGV, il y a un temps d’attente devant ces bornes beaucoup plus long encore que le temps de lecture de cet article. Si vous arrivez à cette borne, il est possible que le programme plante ou vous indique “train complet” ou “place en surréservation”. Mais rassurez-vous, dans 99% des cas, le train n’est PAS complet. C’est juste que la SNCF estime toujours mal, après 20 ans de SOCRATES, le nombre de personnes réellement présentes dans ses trains et prend toujours une marge de sécurité qui ferait rougir d’envie toutes les compagnies anglo-saxonnes dont la SNCF s’est inspirée pour sa stratégie de Yield Management.

Donc Dieu (et SNCF) merci, si vous aviez pu avoir votre billet, vous auriez été assis. En attendant, vous êtes sur le quai en train de regarder partir votre TGV, ce qui vous laisse tout le temps nécessaire pour lire les abondantes publicités SNCF qui dénoncent les fraudeurs et le surcoût annuel intolérable qu’ils engendrent pour la SNCF – cinquième jour.

A la différence de Dieu, la SNCF s’est reposée dès le sixième jour, en application stricte des accords cadres pour les 27h 31mn 41 s hebdomadaire (les 1 mn 41 s en plus, ce sont les résidus du décret Raffarin sur la Pentecôte)

Ce n’est donc qu’en deuxième semaine que nous pourrons étudier comment l’objectif stratégique de la SNCF – des trains sans passagers mais bourrés de contrôleurs en droit de les pénaliser car leur billet n’est manifestement plus valable -sera atteint.

(7) commentaires pour "Tous fraudeurs avec la SNCF"

  1. Tweets that mention Tous fraudeurs avec la SNCF -- Topsy.com

    […] This post was mentioned on Twitter by Delphine Van Brackel and Guillaume Guenez, Speechi. Speechi said: Speechi: Tous fraudeurs avec la SNCF https://www.speechi.net/fr/2011/02/14/tous-fraudeurs-avec-la-sncf/ […]

  2. Hola Thierry, une nouvelle croisade ? Tu as été un peu vite en besogne avec tes 7 jours. Tu as oublié de parler du temps (révolu) ou le contrôleur ne pouvait pas accepter de carte bleue. En conséquence, si tu n’avais ni liquide ni chèque, et même si tu étais allez le voir spontanément, il t’infligeait un PV au prix fort pour défaut de billet, avec ses regrets et la consigne “Aller voir le Service Client pour vous faire rembourser”. Je pourrais écrire un article sur la suite, burlesque, en exhumant un courrier de l’époque adressé à G. PEPY qui n’était encore que le Directeur Commercial Grandes Lignes…

  3. Cela n’est que mon avis, mais je pense que mélanger blog privé et blog professionnel n’est, d’une part, d’aucun intérêt et peut même porter préjudice à une entreprise (surtout lorsqu’il s’agit d’opinions politiques). Les lecteurs font forcément l’amalgame entre vos opinions personnelles et le discours officiel de Speechi.

    Vous dites dans votre article : “Je précise qu’ils n’engagent que moi et ne traduisent pas la position officielle de Speechi, ni des collaborateurs de Speechi.” Mais en exprimant librement vos convictions sur le blog de Speechi, c’est toute l’entreprise que vous engagez avec vous, volontairement ou non. Vos collaborateurs sont-ils d’accord avec ce principe ?

    Enfin comme je vous le disais, ce n’est que mon humble avis 😉 Mais je pense que le mélange des genres (privé et perso) est assez peu courant dans les entreprises et qu’il y a bien une raison à cela.

  4. @Gaelle:
    Il y a du pour et du contre, effectivement. ce que vous dîtes est intéressant mais c’est difficile pour moi de discuter avec un interlocuteur anonyme.

  5. Bonjour,

    Ça n’a pas de rapport avec la plainte, mais plutôt avec la SNCF.

    Alors, juste pour réagir sur les contrôleurs de tout genre. En fait, tout le monde n’arrêtent pas de cracher sur les fraudeurs, à commencer par les contrôleurs eux même, qui quand ils chopent un fraudeur, ils arrêtent pas de le dénigrer et de le rabaisser devant tout le monde.

    Moi je dit, sans fraudeurs, les contrôleurs n’existeraient pas!! et plus sérieusement, les fraudeurs représentent pour les entreprises comme la SNCF une mine d’or, de l’entrée de l’argent totalement exceptionnel et inespéré, à condition de faire des contrôles, le PV coute 4fois le prix du billet.. vous croyez après que la SNCF va mettre en place des systèmes anti-fraude, et dieu sait avec la SNCF que c’est tout a fait possible (ils le font souvent la nuit quand il y a pas de contrôleurs dans les trains) un contrôle pour accéder au quais suffit.

    PS: GAELLE, tu es aussi “anonyme” que n’importe qui sur le net.

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